À la Comédie-Française, sous l’Ancien Régime, où se mêlent drames et comédies, apparaît au théâtre, un soir de 1772, la truculente Françoise Raucourt. Courtisane désinvolte et comédienne hors pair, sa renommée se fait également par son goût prononcé pour la gent féminine, ainsi que par ses innombrables aventures. Affichant son homosexualité librement, celle que l’on nomme « Mademoiselle Sapho » nous dépeint au travers de sa rocambolesque et scandaleuse vie, l’histoire de ces dames que l’on nommait alors, les tribades. Extrait de l’article publié dans le numéro 107 de Jeanne Magazine.

C’est tout d’abord la vie d’une gosse miséreuse, Marie Antoinette Françoise Saucerotte, née en 1756, le 3 mars, dans un quartier pauvre de Paris, d’une mère attachée au service du roi de Pologne (Stanislas Leczinski) et d’un père comédien sans le sou. C’est d’ailleurs avec lui qu’elle fait ses tout premiers débuts dans le monde théâtral, avant qu’elle n’entre, par le biais de l’acteur Jean Baptiste Britard dit Brizard, à 16 ans à la prestigieuse Comédie-Française en 1772.

Dotée d’une beauté inouïe et d’un grand talent, elle devient rapidement la favorite de ces messieurs et mesdames venant l’admirer sur les planches. Grande tragédienne, elle s’illustre dans des pièces telles que La Didon ou Pygmalion de Rousseau. Mais hélas, la genèse de sa brillante carrière n’est que de courte durée. Très vite la direction de la Comédie-Française (notamment son directeur d’alors Mr. Duras) et le public découvrent ses liaisons saphiques et sa vie de dépravation et de luxure, faisant jaser la foule et les gazettes de l’époque, ce qui l’a contrainte à être chassée de la Comédie et de la société du Théâtre-Français en 1776.

Bien que l’homosexualité soit vue d’un mauvais œil en cette fin de 18è siècle, cela n’empêche pas les classicistes de se pencher sur le sujet (comme Johann Wickelmann, pour la gent masculine), ou encore, les plus pervers des écrivains et dessinateurs de dresser des portraits stéréotypés et caricaturaux de la chose, notamment du côté des lesbiennes (comme pour lyncher la reine Marie-Antoinette).
Quant au terme de « tribade », il est beaucoup utilisé à l’époque pour nommer les femmes aimant d’autres femmes. Il provient du grec antique tribo (qui signifie « frotter »). Beaucoup d’auteurs font déjà mention de cela dans leurs œuvres, et ce dès le 17è siècle, comme exemple Nicolas Chrorier dans La Satire Sotadique (Sigeae Toletanae Satyra sotadica) en 1660 : « En Italie, en Espagne, en France, les femmes ressentent des passions pour les femmes, et si la pudeur leur faisait défaut, elles se précipitent bien vite dans les bras les unes des autres ».
Mais pour en revenir au 18e siècle, si certaines dames de cour s’écrivent des lettres endiablées (comme dans Correspondance d’Eulalie ou Tableau du libertinage de Paris, Jean Nourse, 1785), du côté des actrices, où « Le vice des Tribades devient très à la mode » Mlle Raucourt règne en maître dans le milieu artistique et saphique d’alors, affichant librement et fièrement son homosexualité. « Mlle. de Raucoux de la Comédie Françoise, qui raffole de son sexe… a renoncé au marquis de Bièvre, pour s’y livrer plus à son aise. », stipule M. de Bachaumont dans le septième tome de ses Mémoires Anciennes (11 juillet 1774).

Après avoir été bannie de la Comédie-Française, « la reine des Tribades » comme on la surnomme, quitte la France aux côtés de son amie Mlle Souck, pour s’embarquer, pendant près de trois ans, dans un tour de l’Europe (Russie ou Allemagne, selon les sources). Ce qui lui vaut aussi d’être radiée du tableau des Comédiens du Roi. Mais, celle qui fut « idolâtrée la veille » puis « honnie le lendemain » (Emile Gaboriau, Les comédiennes adorées, 1874) ne resta point très longtemps dans cette situation, car elle possède un atout qui la sauve, la protection de la reine Marie-Antoinette en personne. En effet, en revenant en France, en 1777, Mademoiselle Raucourt, alors rentrée comme comédienne dans la troupe de Versailles, se fait remarquer lors de représentations à Fontainebleau. Mais il lui faudra néanmoins attendre 1779 pour pouvoir réintégrer la Comédie-Française. Peu à peu, elle arrive à reconquérir le public parisien qu’elle avait perdu trois ans auparavant. Elle reprend d’ailleurs son tout premier succès, La Dindon.

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Par Naïs Nolibos

L’intégralité de l’article est disponible dans le numéro 107 de Jeanne Magazine.

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