Après Sex and the Series publié en 2016, Iris Brey est de retour avec Le Regard féminin – Une révolution à l’écran. Dans ce nouvel ouvrage aussi passionnant qu’indispensable, l’autrice spécialiste de la représentation du genre au cinéma et dans les séries, a choisi de théoriser le female gaze, ce regard féminin qui nous place au plus près des héroïnes sans les objectifier et qui repose sur des nouveaux outils de mise en scène. Iris Brey évoque dans son essai The L Word, Portrait de la jeune fille en feu, Wonder Woman ou encore les films pionniers de Barbara Hammer pour nous aider à mieux appréhender la révolution qui se joue sur nos écrans. Pour en parler plus longuement, rencontre avec l’autrice qui nous raconte sa vision d’une industrie qui peine encore à se renouveler. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de février de Jeanne Magazine. Par Fanny Hubert

En tant que spectatrice, à quel moment tu as compris qu’il y avait un manque de female gaze et un problème dans la représentation de l’expérience d’une héroïne ? Très tardivement. Je pense que j’ai quasiment fait toutes mes études sans vraiment y réfléchir. J’ai dû attendre de commencer ma thèse. Bon ça fait quand même 10 ans [Rires]. Mais ça me paraît tard dans une vie de jeune fille. En tout cas, en étant petite fille, je ne me rendais absolument pas compte qu’il n’y avait pas de récit de femmes. Je sais que le premier film qui m’a vraiment marquée c’est Peau d’âne de Jacques Demy. C’est parce qu’il y avait pour une fois une héroïne et il y avait quelque chose qui me parlait dans le film. C’est peut-être le rôle de la fée de Lilas de Delphine Seyrig qui m’a le plus marquée. (…)

Dans ton essai, tu inventes un test pour déterminer si un film a recours ou non au female gaze, à la manière du test de Bechdel. Ton test se base à la fois sur la narration et sur la mise en scène, qui est l’élément-clé du female gaze. Le test de Bechdel est vraiment plus une question de narration donc c’est partir du langage et du scénario. Mon test, c’est partir de la mise en scène pour savoir s’il y a du male gaze ou non donc ce n’est pas aussi évident qu’un test de Bechdel qui est d’une efficacité redoutable. J’ai pensé à ces 6 points pour rendre ça un peu plus facile à appréhender. Ça nous fait poser de nouvelles questions quand on regarde un film. Et le female gaze n’est pas une histoire d’identification. C’est une manière d’être avec l’héroïne et de ne pas être en train de la regarder.

Pour The L Word, tu évoques un male gaze qui n’en est pas tout à fait un. C’est le male gaze queer. Qu’est-ce que tu entends par là ? Il y a beaucoup de séries qui reposent encore sur le male gaze dans la manière de filmer les scènes de sexe en passant par l’objectification pour provoquer un érotisme. J’ai l’impression que dans les œuvres qui représentent des relations homosexuelles, il se passe quand même autre chose. Dans The L Word ou dans Vida, il y a un questionnement autour du pouvoir et de la domination. Pour moi, une œuvre queer est une œuvre qui remet en question les rapports de pouvoir, qu’elle les réinstaure ou qu’elle les subvertisse mais en tout cas il y a vraiment un questionnement autour de ça. (…)

The L Word était de retour l’année dernière avec The L Word : Generation Q. Est-ce que t’as l’impression que la série a évolué en matière de mise en scène ? Je pense que The L Word pourrait être une série beaucoup plus radicale mais ça reste très timide. Je trouve que les scènes de sexe de Generation Q sont peu mémorables. À part la première scène où l’héroïne a ses règles et celle du plan à trois, ça n’invente rien.

Contrairement à Work in Progress par exemple. Oui, Work in Progress est beaucoup plus queer que The L Word, à tellement de niveaux. J’ai adoré la manière dont elle parlait de sexualité et dont elle amenait la scène de sexe. Le fait que cette scène se passe dans le noir ça raconte aussi que ça reste encore très difficile de représenter ça.

En France, on a encore beaucoup de mal à écrire des séries en représentant les récits de personnages LGBTQ+. À ton avis, ça vient d’où ? Je pense qu’il y a un problème de compréhension au niveau des diffuseurs, des chaînes. On a besoin de représentation LGBTQI dans nos fictions françaises. Après, il y a des personnes qui font bouger un peu les choses comme Sullivan Le Postec avec Les Engagés. Je pense que la nouvelle génération de scénaristes a beaucoup plus envie de raconter ces récits-là. Mais il y a un décalage entre la télévision faite par les hommes de plus de 50 ans pour les spectateurs/spectatrices de plus de 50 ans et les nouvelles plateformes que ce soit Slash sur France TV ou Netflix. (…)

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Le Regard féminin – Une révolution à l’écran d’Iris Brey (Editions de l’Olivier)

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