Avec TysT (Scylla, 2023), l’historienne, traductrice et romancière luvan renoue avec la magie de la fantasy et des paysages bretons de son enfance. Elle y raconte l’histoire de Sauda, une musicienne dotée de la capacité de voyager entre les strates du monde. Au cours de ses voyages entre le Pays Endormi (le nôtre) et le Pays Vif (le pays des fées), Sauda se lie avec une multitude de personnages aux noms excentriques et accomplit de mystérieuses quêtes. Roman-poème à l’imaginaire merveilleux, revanche queer sur le conte de fée hétéronormatif, TysT est une ode à l’amour – l’amour pour un lieu, l’amour lesbien, l’amour pour la fantasy. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 108 de Jeanne Magazine.

Qu’est-ce que la fantasy a à nous offrir ? La fantasy, si on arrive à se débarrasser complètement des schémas normatifs, offre aux auteur·ices le luxe de partir de zéro. Dès ses débuts, ce genre s’est mis en place collectivement : avec de nombreuses fan fictions, des clubs de gens qui écrivaient de manière non professionnelle. La fantasy donne à voir la fantaisie intérieure de chaque personne, à l’instar du jeu de rôle – pour moi les deux vont de pair. Ce qui m’intéresse, c’est pourquoi telle adolescente de seize ans s’est inventé tel personnage d’elfe avec ses caractéristiques et sa cosmogonie bien particulières. Dans TysT, je suis partie très lâchement des légendes locales du Cap Sizun que j’ai arpenté enfant. J’y ai vraiment mis toute ma magie d’enfance. Jeune, la fantasy m’a aidée à affronter la nostalgie d’avoir raté le monde que les adultes décrivaient, cette espèce de « c’était mieux avant ». Ce qui importe finalement n’est pas tant ce qu’on aurait raté, que ce qui nous fait rêver. C’est cette énergie-là, du rêve, que j’avais envie de rendre dans TysT. La nostalgie à l’envers d’un monde futur qui pourrait avoir lieu.

Au cours de ses aventures, Sauda tombe amoureuse de Frisson Dimitria Smirnov, une hex (une fée). Peux-tu nous dire quelques mots de cette romance lesbienne ? Je ne me suis rien dit, tout est arrivé. L’histoire d’amour m’a complètement prise par surprise. Elle est arrivée comme ça, il fallait qu’elle se produise. C’est une partie de moi qui l’a écrite, sur laquelle je n’avais pas forcément de contrôle. Je cherchais à répondre à cette question : qu’est-ce que le pays des fées et comment résonne-t-il en moi ? Je voulais parler de l’interdiction de manger et de tomber amoureux·se au pays des fées. On dit aux jeunes filles de ne pas tomber amoureuses de leur meilleure copine, aux jeunes garçons de leur meilleur copain. On dit que l’amour non reconnu par la société doit être gardé secret et qu’à un moment, ce secret nous perd. Toutes ces histoires vouées à l’échec : pour moi c’est ça l’hétéronormativité. J’avais envie de prendre ma revanche là-dessus. Évidemment qu’on peut tomber amoureux·se d’une fée ! On peut même vieillir ensemble, ramasser son sarrasin à la serpette, faire des gâteaux sur la lande. Des générations de personnes ont été empêchées et découragées dans leurs amours queer, mais aussi mixtes. Des personnes qui voulaient l’amour et la passion, à qui on a dit que c’était destructeur et voué à l’échec. Tomber amoureuse, pour moi, c’est comme écrire un roman : à chaque fois autre chose, tout à réinventer. Si je découvrais le pays des fées, je n’en partirais jamais. (…)

TysT de luvan (Scylla)

Par Milo Penicaut

L’intégralité de la rencontre avec luvan est disponible dans le numéro 109 de Jeanne Magazine.

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