Parisiennes, trentenaires et mariées depuis 2014, Hélène, assistante de conservation au Musée de l’Armée aux Invalides et Paule-Elise ont lancé le projet « 1916 kilomètres ». A l’occasion du Centenaire de la Première Guerre mondiale, elles voyagent depuis 2016 à bord de leur van sur les routes de France pour concilier voyage et Histoire. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de juin 2017 (n°41) de Jeanne Magazine.
Cela fait un an que votre projet de voyage sur les routes de la Première Guerre mondiale a vu le jour. Comment tout a commencé et pourquoi avoir choisi d’orienter votre projet autour du Centenaire de la Première Guerre ? C’est un peu un concours de circonstances. Quand on a acheté notre van, on a cherché des destinations de week-end pas trop loin de Paris. Comme on habite en Seine-Saint-Denis, on a pris la route vers le nord-est et on s’est retrouvées en Champagne, en Picardie… Là, on a croisé des mémoriaux, des événements, des expositions liés au Centenaire. Bien sûr à la base on s’intéresse à l’histoire, et puis le travail d’Hélène se trouve parfois concerné par ce genre de cycles commémoratifs. Il faut dire que c’est un sujet riche, vaste, passionnant. On peut l’aborder avec beaucoup d’angles différents. Une des choses qui nous a plu aussi, c’est que ça nous permet de voyager dans des coins hors des sentiers battus, à la rencontre de régions de France qui ne sont pas parmi les plus touristiques (la Meuse !). Notre blog parle de ça également : comment c’était il y a cent ans, comment c’est maintenant ?
Au-delà du blog voyage traditionnel, vous permettez également aux personnes qui vous suivent de découvrir les grands visages de cette période. Etait-il important d’ajouter un aspect ludique à votre projet ? Bien sûr ! On a conscience que la thématique « Première Guerre » peut sembler ardue. C’est pour ça qu’on essaie d’aérer le contenu avec des rubriques variées comme les portraits, mais aussi les recettes végétariennes de camping ou encore une rubrique sur les animaux pendant la guerre tenue par notre chienne Ruby.
Vous assumez ouvertement le fait d’être en couple et proposez parfois un regard sur les figures lesbiennes de cette époque. Quelles sont celles qui vous ont particulièrement marquées ? C’est vrai que LA figure de la Première Guerre est traditionnellement le Poilu : un homme blanc. Mais avec le Centenaire, on voit les mémoires des minorités émerger : la reconnaissance accrue des combattants de couleur, le rôle des femmes (au-delà de la figure de l’infirmière). Par contre les personnes LGBT restent relativement invisibles (pour changer) et donc ce sont quelques-unes d’entre elles qu’on essaie de mettre en lumière. Et vu qu’on a un faible pour les femmes intrépides, notre choix s’est porté sur des héroïnes comme Toupie Lowther, qui a servi de modèle à Stephen Gordon, le personnage principal du grand classique lesbien Le Puits de solitude. Ouvertement lesbienne, Lowther s’est engagée comme ambulancière dans l’Oise pendant les combats, ce qui voulait dire conduire jour et nuit sous les bombardements entre le front et l’arrière. Pas de tout repos. Elle voulait être toujours plus près du front. Ça lui a pris du temps pour convaincre la hiérarchie militaire de monter son équipe de femmes, mais à force d’entêtement, elle y est arrivée. Il y a aussi la figure terrible de Violette Morris, connue principalement pour avoir collaboré avec le régime nazi pendant la Deuxième Guerre mondiale. Personnage trouble et provocateur, bisexuelle, athlète de haut niveau, ayant subi une mastectomie pour mieux conduire, elle dérange et se voit refuser de participer aux JO de 1927 – trop scandaleuse. Mais pendant la Première Guerre, elle a eu un comportement patriote et héroïque, relayant les informations entre l’état-major et le front, affrontant tous les risques.
Par ailleurs, ce voyage et la découverte de tous ces lieux emblématiques vous permettent-ils d’en apprendre davantage sur la façon dont vivaient les homosexuels au début du 20è siècle ? Malheureusement pas assez. Mais en creusant, on trouve parfois des rencontres intéressantes : quand Apollinaire, qui revient du front blessé, écrit en 1916 sa pièce Les Mamelles de Tirésias avec un thème vraiment trans (même si c’est un anachronisme de le dire), il côtoie le couple Gerda et Einar Wegener. Si vous avez vu le film The Danish girl, vous voyez qui ils étaient : Einar deviendra Lili Elbe, une des premières femmes trans. Le couple danois s’était réfugié à Paris pour fuir les réactions hostiles de la société de Copenhague. Il y a une forme de fierté à penser que Paris était alors un refuge, synonyme de liberté, pour les personnes LGBT. C’est pareil avec l’héroïne lesbienne du Puits de solitude, qui quitte l’Angleterre pour Paris pour vivre plus libre.
Avez-vous fait des rencontres qui ont marqué ce voyage jusqu’à présent ? Sur la route on parle facilement avec les gens du coin. Dans les carrières de Montigny dans l’Oise, qui avaient été utilisées par les combattants pendant la Première Guerre et sont un lieu de mémoire très bien entretenu par une équipe de bénévoles, on a parlé avec la gardienne des lieux, surgie d’un autre temps. C’était un matin brumeux de février, il n’y avait personne d’autre que nous, et elle a émergé d’une des maisons troglodytes. Elle était âgée mais très dynamique et nous a raconté que son grand-père était carrier justement dans ces carrières. (…)
Y-a-t-il un lieu qui vous a particulièrement marquées depuis le début de votre aventure ? À chaque fois qu’on croit qu’on a vu un endroit super marquant, on pense que le prochain le sera moins, mais ce n’est pas le cas ! L’ossuaire de Douaumont à côté de Verdun nous a beaucoup impressionnées. (…)
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Vous pouvez suivre Hélène et Paule-Elise sur leur site internet 1916kilometres.com
Retrouvez l’interview en intégralité dans le numéro de juin 2017 (n°41) de Jeanne Magazine. En vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !