Avec Le courage qu’il faut aux rivières, sorti chez Albin Michel, Emmanuelle Favier nous livre un premier roman qui nous plonge dans la tradition ancestrale des vierges jurées. On y suit Manushe, qui, après avoir refusé de se marier avec le vieux Parush, a signé la fin de sa vie de femme en prononçant le serment par lequel elle est devenue un homme. Vêtue et considérée comme tel par tout le village, elle est soudain bouleversée par l’arrivée d’Adrian dans la communauté. Un récit captivant, coup de coeur de la rédaction de Jeanne Magazine. Extrait de l’interview publiée dans le numéro de septembre.

Où avez-vous découvert cette tradition des « vierges jurées » ? Est-elle toujours d’actualité ? J’ai découvert ce phénomène lors de l’une des premières expositions proposées au Mucem, « Au bazar du genre ». Je suis tombée en arrêt devant les photos et vidéos de ces femmes, dont le regard dégageait une puissance très singulière. Cette tradition extraordinaire, ce compromis complexe entre aliénation et émancipation m’a fascinée, et j’ai tout de suite eu envie d’écrire sur elles. Il existe encore un certain nombre de ces vierges jurées et la pratique perdure, quoique sous une forme différente, moins liée à une tradition et à la patrilinéarité qu’à un désir d’émancipation librement choisi.

L’identité, la féminité, le genre sont autant de thèmes que vous abordez avec délicatesse et poésie, en quoi sont-ils importants pour vous ? J’ai beaucoup travaillé sur la question du genre, mais sous un angle strictement littéraire et toujours en relation avec l’identité au sens plus large du terme. Je n’éprouve pas forcément un grand intérêt pour l’aspect théorique des questions de genre, mais ces interrogations sont pour moi indissociables de la pratique de l’écriture dans la mesure où elles déterminent ma place dans le monde. Être une femme qui écrit, cela n’est (hélas ?) pas encore tout à fait anodin…

Au-delà d’une réflexion entre autres sur l’identité, le genre et la féminité, pourquoi avez-vous choisi d’écrire des histoires d’amour lesbien dans votre roman ? Il me semble que l’idée était moins de parler d’homosexualité (car il y a toutes sortes de configurations sexuelles dans le livre) que d’explorer le désir dans sa relation au genre, de défendre l’idée selon laquelle on est attiré par une personne, et non par un genre déterminé. On peut être attiré par ce qui nous ressemble ou par ce qui est très différent de nous, ce aussi bien dans le cadre de l’homosexualité que de l’hétérosexualité. C’est cette complexité qui me fascine, j’ai beaucoup de mal avec les classifications définitives. Il me faut aussi préciser que la tradition de la vierge jurée n’est en rien liée à une orientation sexuelle, c’est ce qui fait qu’elles sont très respectées alors que la sexualité est encore un tabou très fort en Albanie.

Le courage qu’il faut aux rivières d’Emmanuelle Favier (Albin Michel) – Photo Astrid di Crollalanza.

Retrouvez l’interview d’Emmanuelle Favier en intégralité dans le numéro de septembre de Jeanne Magazine : N’oubliez pas qu’en soutenant Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !