Je n’ai jamais voulu d’enfants. De toute façon, je suis lesbienne… je n’aurais donc pas pu offrir le modèle masculin dont mes hypothétiques enfants auraient potentiellement besoin. C’est ce que je pensais encore au début de ma vingtaine. Lorsque mon ex m’a dit que je parlais comme une électrice d’extrême droite, je suis restée abasourdie. Je venais de découvrir mon homophobie intériorisée.

Il y a le feu

Je n’ai jamais voulu d’enfants, mais ma partenaire en a deux. La vie prend parfois des tournures surprenantes, et la meilleure façon de s’adapter est d’embrasser l’inattendu.

Aujourd’hui, je vis avec ma partenaire, ses deux petits garçons et leur père. Plus je passe de temps avec les enfants, plus je me rends compte de l’énorme responsabilité de chaque parent à l’égard de la communauté queer.

Nous ne pouvons pas laisser les enfants du 21e siècle intérioriser les mêmes horreurs que nous. Nous ne pouvons pas nous permettre d’engendrer une nouvelle génération queerphobe. Il faut briser cette chaîne de souffrance. Et il y a le feu.

Créer un espace sûr

Les enfants croient ce qu’ils entendent chez eux. C’est leur première source de vérité, avec laquelle ils construisent leur vision du monde. Ils ne questionnent pas les discours de haine, tant qu’ils n’ont pas les outils pour les interroger.

Chez nous, les garçons ne demandent pas pourquoi leur mère est amoureuse d’une autre femme. Ils ne demandent pas pourquoi leur père et leur mère vivent toujours dans la même maison alors qu’ils ne sont plus en couple. Ils ne s’étonnent pas que leur père et moi nous entendions bien. Pour eux, notre réalité est tout à fait naturelle.

Seulement, le monde autour de nous ne partage pas cette réalité. Et nous ne pouvons pas protéger nos enfants contre les discours de haine. Nous pouvons seulement leur offrir un espace sûr pour gérer les émotions que ceux-ci provoquent.

Harcèlement à l’école

L’autre jour, l’enseignante de maternelle a montré un livre avec des familles queer aux enfants. L’une des familles était un couple de lesbiennes avec un bébé. En les voyant, le visage de notre petit garçon s’est illuminé. « Moi aussi, j’ai deux mamans ! », s’est-il exclamé joyeusement malgré sa timidité habituelle.

Un autre enfant a commencé à se moquer de lui. « C’est impossible d’avoir deux mamans ! T’es trop bête, et ta mère aussi elle est bête ! »

C’est le même enfant qui le traite de fille chaque fois qu’il met du vernis à ongles, qui se moque de lui quand il porte des « couleurs de fille » et qui le harcèle s’il fait des choses que les garçons ne sont pas censés faire.

Nous lavons le cerveau des enfants

Les garçons ne portent pas de rose, de maquillage ni de robes. Nos enfants ne naissent pas avec ces idées inventées par les responsables marketing. Ils sont spontanés et prennent naturellement les gens comme ils sont. Ce sont les adultes qui les lobotomisent avec leur vision du monde étriquée. Et quiconque ne rentre pas dans le moule a de grandes chances de se faire harceler.

La queerphobie est notre problème à toustes

Nous avons une responsabilité collective : déconstruire nos modèles éducatifs et les abandonner s’ils provoquent de la souffrance. Heureusement, les jeunes générations prennent de plus en plus conscience des différentes formes de discrimination. Mais ça ne suffit pas.

Tant que des jeunes personnes mettront fin à leurs jours parce qu’elles ne sont pas hétérosexuelles, ça ne suffira pas. Tant que des enfants vivront l’enfer parce qu’ils sont trans, ça ne suffira pas. Tant que les personnes queer ne seront pas en sécurité partout, ça ne suffira pas. Personne ne sera libre tant que tout le monde ne le sera pas.

Et si les petits tournaient queer ?

Pendant le mois des fiertés, ma partenaire et moi avons été traitées d’irresponsables pour avoir emmené les enfants à une Dyke March – une marche de visibilité queer et lesbienne. J’étais particulièrement fière de défiler avec elle et les garçons.

« Que vont devenir mes petits-enfants ! », s’est offusqué le père de ma partenaire après avoir vu une photo de nous dans le journal.

« Et s’ils tournaient queer ? » voulait-il dire en réalité.

« Et alors ? », j’ai rétorqué. « Puis, votre fille, elle a eu des modèles queer dans son enfance ? »

« Jamais ! », il a répondu.

« Ça ne l’a pas vraiment empêchée d’être lesbienne ! »

On t’aime…

C’est très simple. Nos enfants deviendront qui ils sont, indépendamment de qui nous sommes. Et c’est exactement ce que nous voulons. Hétéro, queer… ça n’a aucune importance.

Notre amour est inconditionnel. Les enfants doivent se sentir libres d’explorer leur identité et de devenir qui ils sont. Notre rôle est de les accompagner dans ce cheminement, pas de projeter sur eux notre version du succès et du bonheur.

… peu importe qui tu es, peu importe qui tu aimes

Les personnes queer ne peuvent pas assumer l’ensemble du travail éducatif. Nous avons besoin d’alliés. Il appartient à chaque parent de donner à son enfant la liberté d’aimer qui il veut, de devenir qui il est, et de lui inculquer que ces deux droits sont valables pour tout le monde.

Rien à prouver

Nous sommes en 2023. Les enfants queer devraient se sentir en sécurité, tout comme les enfants issus de familles queer.

Nous sommes en 2023. Nous savons désormais que le modèle « papa, maman et les enfants » est une construction sociale qui ne résiste pas à la réalité la moitié du temps. Les ravages du patriarcat sont omniprésents dans les familles nucléaires. Alors pourquoi les personnes queer devraient-elles justifier l’existence même de leurs familles ? Pourquoi devrions-nous prouver que nous sommes capables d’élever des enfants heureux ?

Nous sommes en 2023. Les enfants vont bien… merci de ne pas demander.

Élie Chevillet est une militante lesbienne et écrivaine de chroniques queer féministes. Suivez Élie sur Instagram.

Cette tribune a été initialement publiée dans le numéro 110 de Jeanne Magazine.

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