C’est historique : en cette journée internationale de lutte contre les LGBTphobies, Taïwan est le premier pays d’Asie à reconnaître l’union des couples homos.

Pour rappel, le 24 mai 2017, la Cour constitutionnelle taïwanaise avait rendu un arrêt jugeant anticonstitutionnel le fait de priver les personnes de même sexe du droit de se marier et avait donné deux ans au gouvernement pour modifier la loi.

« Nous avons une chance d’écrire l’histoire et de montrer au monde que des valeurs progressistes peuvent s’implanter dans une société est-asiatique« , avait écrit la présidente Tsai Ing-wen sur Twitter avant le vote. « Aujourd’hui, nous pouvons montrer au monde que #LoveWins (« l’amour triomphe ») « , avait ajouté celle qui s’était engagée lors de sa campagne électorale victorieuse en 2016 à promouvoir l’égalité devant le mariage.

Trois textes ont été soumis au vote des parlementaires ce 17 mai, et c’est celui du gouvernement, le plus progressiste, qui a été voté. Mais, au dernier moment, le mot « mariage » a été enlevé de ce projet de loi pour apaiser l’opposition et s’assurer du vote.

Le projet de loi, adopté par 93 voix pour, 66 contre et 27 abstentions, permet aux couples homosexuels de former «des unions permanentes exclusives» ainsi qu’une clause qui leur permet de demander une inscription par l’administration au «registre des mariages».

Les premières unions pourront être célébrées à partir du 24 mai prochain.

En attendant notre article dédié à cette événement historique, qui sera publié dans le prochain numéro de Jeanne Magazine, nous vous invitons à (re)découvrir notre interview de Ann Jiun Wang, qui a créé en 2011, LEZS magazine, le seul magazine lesbien taïwanais.

Pouvez-vous nous parler de vous en quelques mots ? J’ai 36 ans et je suis lesbienne. Je suis née à San Francisco mais j’ai grandi à Taïwan. Lorsque j’ai eu 19 ans, je suis retournée à San Francisco pour étudier à l’Academy of Art University. C’est là que j’ai rencontré ma première petite amie. A 22 ans, je suis repartie à Taïwan et j’y ai trouvé un premier boulot pour un magazine en tant qu’éditrice. A 25 ans, j’ai organisé ma première soirée lesbienne et en 2011 je créais LEZS Magazine ainsi que la chaîne LEZS TV. Depuis c’est plus d’une trentaine de soirées qui ont eu lieu à Taïwan et à Hong Kong. Ce que je fais est une vraie passion. J’adore les femmes et j’adore les personnes LGBTQ. Je souhaite que les Asiatiques puissent ouvrir leur esprit à la cause LGBT et j’espère avant tout que mon pays sera le premier du continent à ouvrir le mariage aux couples de même sexe.

Quelle a été votre première motivation pour la création de ce magazine lesbien ? Je connais bien le monde de l’édition car ma famille possède une société éditrice de magazines et journaux, c’est d’ailleurs là que j’ai fait mes armes en tant qu’éditrice. La communication médiatique m’intéresse depuis toujours et j’aime les gens qui travaillent avec moi. La première fois que j’ai réalisé que j’étais attirée par les filles, j’avais 12 ans, mais Internet n’était pas si populaire à l’époque et il n’existait bien sûr aucune application de rencontres lesbiennes. Alors je suis allée dans une librairie et j’y ai trouvé un magazine lesbien qui s’appelait Girlfriend. Il y avait très peu de photos pour beaucoup d’articles. C’était les années 90 et très peu de lesbiennes avaient fait leur coming out. Elles étaient très discrètes sur leur identité. Dans les années 2000, il n’y avait plus rien pour les lesbiennes mais le monde avait changé et j’ai pensé qu’il était temps, pour nous, d’avoir un magazine lesbien asiatique qui montrerait la nouvelle génération de lesbiennes et qui y parlerait de notre mode de vie et partagerait nos histoires. C’est dans cet esprit qu’est né LEZS Magazine.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la ligne éditoriale du magazine ? LEZS est avant tout un magazine lifestyle pour les lesbiennes asiatiques. Nous abordons donc les thématiques LGBTQ et féministes mais d’une manière plutôt légère. Par exemple, nous invitons régulièrement des célébrités qui s’intéressent à la cause LGBTQ ou qui appartiennent à la communauté LGBTQ à faire la couverture et à nous raconter leur parcours. Il faut savoir qu’en Asie, peu de personnes osaient faire publiquement leur coming out jusqu’à il y a 3 ans environ. Nous parlons de la mode queer, de cuisine, de voyage, d’arts, de musique, de cinéma… Nous mettons en lumière les femmes lesbiennes qui ont du succès dans leur domaine afin qu’elles partagent leur histoire avec nos lectrices. Nous avons également une colonne intitulée “Story” pour laquelle nous invitons une Taïwanaise afin qu’elle nous présente différents profils de lesbiennes.

Comment diriez-vous que les médias lesbiens ont évolué ces dernières années ? Aujourd’hui la cause LGBT est régulièrement abordée dans les journaux, à la radio et à la télévision. Cela fait environ 3 ans maintenant que les médias généralistes parlent des combats que mènent les personnes LGBT. Cependant, peu s’intéressent aux lesbiennes qui restent encore une minorité à Taïwan. On peut trouver deux ou trois médias qui en parlent dont LEZS Magazine. Et pour être exacte, LEZS Magazine est le seul média à être exclusivement lesbien à Taïwan.

Avez-vous observé un changement dans les intérêts de vos lectrices au fil des ans ? J’ai vu une évolution vestimentaire dans un premier temps, puisque de plus de plus de filles s’habillent de manière plus masculine dans les rues de Taipei. Autre évolution, numérique celle-ci, puisque de plus en plus de couples lesbiens partagent leurs photos sur les réseaux sociaux pour y montrer leur amour et y partager leur histoire. Les Taïwanais sont de plus en plus tolérants et ouverts d’esprit et acceptent ces évolutions sans trop de difficulté. Je ne ressens pas la même tolérance lorsque je marche dans les rues d’autres pays asiatiques comme le Japon ou la Corée du Sud.

Quelle est aujourd’hui la plus grande cause défendue par la communauté lesbienne ? A Taïwan, c’est définitivement le féminisme. Je pense que si les droits de la communauté LGBT sont aussi avancés à Taïwan, c’est grâce au fait que la société s’intéresse aux droits des femmes. Par exemple, dans la société chinoise traditionnelle, le rôle de la femme n’est pas considéré aussi important que celui de l’homme. Je pense en effet que le fait de ne pas avoir le droit ou la possibilité de parler librement explique pourquoi les lesbiennes ont toujours des difficultés à faire leur coming out. Par ailleurs, elles ont peur de perdre le soutien de leur famille. A Taïwan, cela fait maintenant plusieurs années que les lesbiennes ont pris la parole. Il faut tout de même noter que les gays ont, encore aujourd’hui, un espace plus important dans les médias. Notre combat reste en matière d’homoparentalité. La proportion de familles homoparentales lesbiennes est, à ma connaissance, plus importante que pour les gays. Il faut donc que l’on trouve le moyen d’apporter plus de soutien à ces familles lesbiennes.

Diriez-vous qu’il est plus facile aujourd’hui pour une Taïwanaise d’être ouvertement lesbienne ? Oui, comparé aux autres pays asiatiques, à Taïwan, nous nous préoccupons des droits LGBT. Il est ici bien plus facile aujourd’hui pour une femme d’assumer son homosexualité. Je me rappelle lorsque je suis allée dans un bar lesbien à New York pour la première fois, les filles avaient toutes les cheveux longs. Alors qu’à Taïwan, les lesbiennes se démarquaient en se coupant les cheveux. Aujourd’hui il est très fréquent de croiser des couples de femmes très féminines. Je vis à Taipei, capitale de Taïwan et la ville la plus ouverte d’esprit du pays. Il n’est pas rare du tout de croiser deux filles qui se tiennent la main dans la rue. On peut même plutôt dire que la visibilité lesbienne ici est à un niveau plutôt élevé. Cependant, il reste encore des choses à améliorer et j’aimerais par exemple que l’on se demande comment faire pour que l’école améliore son traitement de l’égalité des sexes, ce qui est un sujet primordial aujourd’hui. J’ai étudié les arts à San Francisco, comme je vous disais, et je travaille dans l’industrie du divertissement. Je côtoie donc depuis très longtemps un grand nombre de femmes lesbiennes mais je sais que dans le cadre de certains métiers (médical, enseignement, police, justice…), il est préférable pour ces femmes de rester dans le placard.

La visibilité lesbienne, à travers les médias lesbiens, compte énormément mais elle reste limitée et le problème est mondial… A mon avis, cela ne réside pas tant dans le manque de médias lesbiens que dans celui du manque de sponsors, de publicitaires, de bars, de clubs et de rassemblements lesbiens. Dans tous les pays que j’ai visités, j’ai vu un grand nombre de clubs, de bars, de livres, de magazines etc. dédiés aux hommes gays uniquement. Même dans les villes les plus gayfriendly telles que San Francisco, dans le quartier Castro. Les magasins LGBT vendent majoritairement des produits destinés aux hommes gays.

Le ministre de la santé a récemment annoncé la fin des thérapies de conversion à Taiwan. Quelle a été votre réaction ? Nous le méritons. L’homosexualité n’est pas un problème à soigner. En 1973, l’Association américaine de psychiatrie a retiré l’homosexualité de sa liste de maladies mentales. Cependant, les moeurs évoluent plus lentement. Beaucoup de personnes qui haïssent les homosexuels ne le font que parce qu’ils n’en ont jamais rencontrés. Il faut espérer que les sociétés finissent petit à petit par accepter de traiter les personnes homosexuelles comme n’importe quel autre citoyen, avec respect.

En mai 2017, la Cour constitutionnelle a statué sur l’ouverture du mariage entre personnes de même sexe. Comment expliquez-vous que cela prenne tant de temps à être légalisé ? D’après la loi taïwanaise, si la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe n’est pas finalisée dans les deux ans qui a suivi cette décision de la cour constitutionnelle alors elle entrera en vigueur et les couples homos pourront se présenter auprès des officiels de leur ville pour demander à valider leur mariage. Nous espérons tous que la loi va être finalisée le plus vite possible surtout pour les familles homoparentales qui souhaitent faire reconnaître leurs enfants de manière officielle.

Qu’en est-il du regard de la société taïwanaise sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ? Le mouvement gay est né il y a une trentaine d’années environ ici. Nous sommes prêts pour l’égalité face au mariage, c’est d’ailleurs la première étape pour la suite. Les prochaines étapes auront trait à l’homoparentalité avec la question de la PMA, de l’éducation… En fait, je suis plutôt optimiste car Taïwan est non seulement la première république démocratique en Asie mais aussi leader en matière d’égalité des droits.

Quelle est la prochaine étape pour LEZS Magazine ? Cela fait sept ans que le premier numéro du magazine a été publié. En tant que seul magazine lesbien chinois, nous avons observé que récemment les médias généralistes se sont penchés sur les questions de genre et LGBT. A Taïwan, il n’existe plus de restriction donc notre principal objectif est de voir comment nous pouvons garder notre originalité. Cette année nous comptons développer notre chaîne LEZS TV afin d’introduire plus de sujets sur les modes de vie concernant la jeune génération et par ailleurs de mettre en avant les célébrités soutenues par les lesbiennes afin qu’elles nous parlent de leur parcours. Nous continuerons également de mettre en lumière la culture lesbienne et LGBT dans les pays asiatiques afin de partager cette diversité avec tout le monde.

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