A l’occasion de la diffusion ce soir sur Arte de Carol, nous vous invitons à (re)découvrir l’article consacré au film de Todd Haynes publié dans un précédent numéro de Jeanne.

Patricia Highsmith, celle par qui tout a commencé

Ce qu’il faut d’abord rappeler, c’est que sans Patricia Highsmith, il n’y aurait jamais eu Carol. Le film est une adaptation de son roman The Price of Salt qu’elle a publié sous son pseudonyme Claire Morgan en 1952. Lors de sa réédition un an plus tard – qui a été présentée comme ‘Le roman d’un amour que la société interdit’ – il s’écoulera à plus d’un million d’exemplaires. L’auteure a par la suite reçu de nombreuses lettres de femmes qui se reconnaissaient dans son récit et la remerciaient pour ce roman lesbien qui apportait enfin de la nouveauté sur les rayons des librairies spécialisées.

L’histoire est celle de Therese Belivet, employée saisonnière d’un magasin de jouets, qui fait la rencontre, un soir d’hiver, de Carol Aird, une femme aisée qui souhaite acheter un train électrique pour sa fille. Le premier regard provoque des étincelles, les deux femmes se revoient et une véritable passion commence à naître. Mais leur amour sera mis à rude épreuve : nous sommes dans les années 50, Carol traverse un divorce compliqué et elle risque de perdre la garde de sa fille.

Ce n’est pas la première fois que les romans de Patricia Highsmith passent de l’écrit au grand écran. Souvenons-nous de L’Inconnu du Nord-Express, du Talentueux Mr.Ripley ou plus récemment de Two Faces of January. Ses thrillers sont une excellente matière pour faire de bons longs métrages. Avec Carol, ce qui importe, c’est l’histoire d’amour passionnelle qui unit les deux femmes. Todd Haynes, à qui l’on doit le très beau Loin du Paradis, qui se déroule également dans les années 50, semblait le mieux placé pour la mettre en images.

Des performances fortes et touchantes

Le projet a mis 11 ans à se concrétiser et le tournage a débuté en mars 2014. Cate Blanchett était attachée au film dès le départ – elle en est l’une des productrices exécutives – et a toujours été celle qui devait interpréter Carol Aird. Pour lui donner la réplique, c’est d’abord Mia Wasikowska qui est envisagée mais elle se retire finalement au profit de Rooney Mara qui devient une parfaite Therese Belivet.

L’un des premiers points forts du film est l’alchimie entre les deux actrices et leur performance. Alors qu’on pensait peut-être qu’elle avait déjà donné le meilleur d’elle-même, Cate Blanchett nous prouve le contraire. Elle n’a jamais été aussi belle et grandiose que dans Carol. Elle crève l’écran et nous amène à éprouver une passion qui est sûrement semblable à celle que ressent Therese. Rooney Mara, quant à elle, ne peut que nous toucher avec son jeu à la fois tout en retenue et plein d’émotion. Elle vit et ne vibre que pour Carol et ça se voit.

Il serait injuste de ne pas mentionner également Sarah Paulson, qui joue Abby Gerhard, la meilleure amie de Carol. Celle que l’on a pu découvrir dans American Horror Story a trouvé un autre registre qui lui va comme un gant et montre une nouvelle fois son grand talent.

Une réalisation parfaite sublimée par la musique de Carter Burwell

Todd Haynes prouve avec Carol qu’il est un grand réalisateur et que les années 50 lui réussissent très bien. Quand son excellent directeur de la photographie Edward Lachman – avec qui il a collaboré à plusieurs reprises – et lui-même ont choisi de tourner en 16 mm, ils ont vu juste. Tous les plans du film sont sublimes et atteignent quasiment la perfection. Les enchaînements de scène, les couleurs, l’atmosphère de cette période de Noël d’un autre temps, tout est brillant et rien n’est kitsch. On aimerait juste être propulsé dans ce magasin de jouets, dans ces rues enneigées et dans la voiture de Carol, pour vivre et voir cette histoire, si belle et si tourmentée, de plus près.

Le réalisateur se concentre sur les jeux de regard, sur une main qui effleure une épaule et sur tous ces gestes révélateurs qui évoluent au fur et à mesure qu’évolue la relation entre Carol et Therese. Lorsque la tentation se fait trop forte et que les deux femmes consomment enfin cet amour interdit, les scènes ne sont ni voyeuristes ni vulgaires. Oubliez les moments un peu trop timides des films comme I can’t think straight ou les scènes de La Vie d’Adèle qui ont fait couler tant d’encre.

Certes, l’époque de ces longs métrages n’est pas la même mais justement, c’est là que la prouesse est encore plus forte. Rendre une romance des années 50 aussi moderne et chaleureuse n’était pas chose aisée et pourtant, Todd Haynes a réussi ce pari haut la main.

Les images sont sublimées par la bande-son signée Carter Burwell. Le compositeur est un fidèle des frères Coen et se trouve derrière la soundtrack de nombre de leurs films mais aussi de certains volets de la saga Twilight ou encore de The Kids Are All Right. Ses notes de piano accompagnent de la plus belle des manières les moments charnières de la relation Carol-Therese et nous prennent aux tripes pour nous emmener très loin et nous faire frissonner, jusqu’à une formidable scène finale qui restera indéniablement dans les mémoires.

On continuera d’adorer des films comme Imagine me and you ou Kyss Mig,mais Carol réussit à s’élever bien au-dessus de tout ce que l’on a pu déjà voir. S’il n’a pas eu la Palme d’Or, on est en droit d’espérer que les Oscars répareront cette injustice et couronneront comme il se doit ce chef-d’œuvre que l’on n’attendait plus.

Par Fanny Hubert // Article initialement publié dans le numéro de décembre 2015 de Jeanne Magazine.

Parce que c’est un combat de tous les jours de faire exister durablement un magazine 100% lesbien et que seul votre soutien financier est décisif pour la pérennité de votre magazine 100% indépendant, nous vous invitons dès aujourd’hui à vous abonner, à acheter le magazine à l’unité, à commander votre exemplaire papier du premier hors-série ou encore à vous faire plaisir dans la boutique de Jeanne !