L’autre jour, mon amie Nadine s’est enthousiasmée que je sois comme elle « amoureuse des étiquettes ». Elle voulait me faire un compliment, mais je me suis sentie impostrice. Amoureuse des étiquettes ? Je ne m’étais jamais vue ainsi. J’ai d’abord eu des sentiments mitigés, parce que je n’aime pas mettre les gens dans des cases qui les étouffent, puis j’ai compris. Nadine parlait des étiquettes que je me colle à moi-même. Elle parlait du fait que je crie mon lesbianisme sur tous les toits. Par Élie Chevillet. Cette tribune a été initialement publiée dans le numéro 103 de Jeanne Magazine.

Un outil d’empouvoirement
Pour moi, l’idée est de me réapproprier l’insulte et de transformer une arme en outil. Forger mon identité en choisissant l’empouvoirement. Tu veux me traiter de gouine ? Mais je t’en prie !
Cependant, aimer être lesbienne ne fait pas de moi une amoureuse des étiquettes. Ce n’est pas une question d’amour, c’est juste du pragmatisme. Les étiquettes sont partout, que je le veuille ou non, donc autant m’en accommoder.

Ras-le-bol des étiquettes
Autour de moi, de plus en plus de gens rejettent les étiquettes. Iels pensent que nous sommes humains avant tout. Iels pensent que nous sommes des êtres holistiques à l’essence universelle. Iels pensent que nous sommes complexes, en constante évolution, et que les étiquettes sont dangereusement restrictives. Iels pensent que l’amour devrait triompher. Et je pense qu’iels ont raison. Bien sûr qu’iels ont raison.
Nous devrions valoriser nos différences. Nous devrions considérer la diversité comme une force plutôt qu’une faiblesse pour nos sociétés. Nous devrions traiter les gens de manière équitable afin d’instaurer la paix. Nous devrions faire tout ça, mais nous en sommes bien loin.

Des étiquettes pour résister
Pendant que certains sont occupés à refaire le monde sans étiquettes, des gens meurent. George Floyd est mort. Marielle Franco est morte. Dinah Gonthier est morte. Malte C. est mort. Alors oui, il est urgent d’imaginer un autre monde, mais il est encore plus urgent de faire face à la réalité.
La réalité, c’est que refuser les étiquettes est un privilège. En tant que blanche, je peux choisir de voir que d’autres sont traités différemment en raison de leur couleur de peau. Et je peux choisir de détourner le regard. C’est un privilège immense. Pour moi, l’antiracisme est un choix  ; pour les personnes racisées, c’est une nécessité.
Pareil pour les lesbiennes  et chaque groupe marginalisé. Conceptualiser le lesbianisme et s’affirmer lesbienne est indispensable pour lutter contre la lesbophobie. C’est pourquoi nos existences individuelles sont radicalement politiques. S’autoproclamer gouine est un acte de résistance.

Auteurices de nos récits
Malheureusement, refuser les étiquettes ne fait pas disparaître les cases dans nos têtes. En tant que membre d’une communauté marginalisée, peu importe que tu te colles une étiquette ou non  : il y aura toujours quelqu’un pour le faire à ta place. La société te rappellera à l’ordre.
Elle te rappellera que tu es une femme, elle te rappellera que tu es gouine, elle te rappellera que tu es une personne racisée, elle te rappellera que tu es une personne trans, elle te rappellera que tu es grosse, que tu es pauvre, que tu as un handicap, elle te rappellera que tu es vieille, ou que tu es malade.
Elle voudra te faire taire parce que tu ne rentres pas dans le moule. Dans ce contexte, autant revendiquer nos identités pour reprendre la parole. Devenir les auteurices de nos récits sera alors notre libération.

Checke tes privilèges
Les étiquettes sont des armes et des outils. Elles peuvent être  blessantes, mais aussi très utiles. Au-delà du facteur auto-empouvoirant, elles peuvent aider à prendre conscience de nos privilèges et à ressentir l’inconfort connexe, à faire preuve d’empathie et à devenir de meilleurs alliés.
Je suis cis, je suis blanche, je suis mince, je n’ai pas de handicap et je suis de classe moyenne… En d’autres termes, je suis privilégiée. Extrêmement. Les personnes qui ne cochent pas ces cases subissent, elles, les discriminations. Or, pour combattre ces discriminations, les étiquettes sont indispensables.
Regardons la France  : on prétend ne pas voir les couleurs, on prétend que les blancs et les personnes racisées sont traités de manière équitable. La citoyenneté est censée nous unir sous une identité nationale unique, indépendamment de notre pays d’origine et de nos racines. Par conséquent, notre politique publique exclut les informations raciales des bases de données. Vous l’avez compris : la cécité des couleurs est un mensonge à la française. Non seulement elle n’élimine pas le racisme, mais elle fait aussi échouer toute tentative de le surveiller. La France aurait besoin de données raciales pour lutter contre le racisme systémique et donc… d’étiquettes !

La bénédiction d’être gouine
Moi, j’aime mon étiquette de lesbienne. Il n’y a pas si longtemps, mon lesbianisme était couvert de honte. J’étais terrifiée à l’idée de ne pas être normale. J’ai essuyé des menaces parce que j’aimais une autre fille. J’ai vu du dégoût dans les yeux des gens.
Cette époque est révolue. L’insulte d’autrefois est devenue ma plus grande fierté. Pour moi, « lesbienne » est l’étiquette qui donne vie à notre communauté. C’est le mot magique qui me lie à mes sœurs et mes amours lesbiennes. Être gouine est une bénédiction. Dieu merci, je le suis.

Élie Chevillet est une militante lesbienne et autrice de chroniques queer féministes. Retrouvez Élie sur Instagram : @eliechevillet

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