Doctorante en littérature française à la Humboldt Universität de Berlin, Margot Lachkar rédige actuellement une thèse sur la littérature lesbienne entre 1948 et 2020. De Violette Leduc à Fatima Daas, en passant par Nina Bouraoui, Virginie Despentes et Constance Debré, la jeune femme, qui est également l’une des cofondatrices du magazine Roseaux et qui a lancé le mouvement des collages féministes dans la capitale allemande, revient pour Jeanne Magazine sur les principales évolutions de la littérature lesbienne des 7 dernières décennies, nous dévoile ses livres incontournables de la littérature lesbienne et ceux qu’elle attend avec impatience pour 2021. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 82 de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous vous présenter aux lectrices de Jeanne Magazine et revenir sur votre parcours ? Je m’appelle Margot Lachkar, et je suis doctorante en littérature française à la Humboldt Universität de Berlin (et bientôt également à Paris 8). Après deux années très exigeantes et bien trop élitistes en Prépa littéraire, je suis partie à Berlin, où j’ai obtenu des licences de lettres et d’allemand, avant de faire un master recherche en littérature française. Et c’est donc à Berlin que je fais ma thèse. Je suis également l’une des cofondatrices du magazine en ligne féministe Roseaux, et j’ai lancé en 2019 le mouvement des collages féministes dans la capitale allemande (FemPlak Berlin).

Vous rédigez une thèse sur la littérature lesbienne entre 1948 et 2020. Comment et pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet et pourquoi avoir choisi cette période en particulier ? Ayant toujours été une grande lectrice, c’est naturellement vers les livres que je me suis tournée après mon coming out. Je cherchais des histoires, des modèles, des personnages qui me ressembleraient. Mais je n’ai rien trouvé dans un premier temps. Puis je suis tombée, grâce à Simone de Beauvoir, sur Violette Leduc, dont j’ai dévoré l’œuvre. J’ai ensuite tiré le fil : un jour, j’ai entendu Nina Bouraoui parler à la radio de son admiration pour Violette Leduc. Alors j’ai dévoré ses livres. Il s’agit en fait d’un jeu de piste : chaque autrice me conduit à une ou plusieurs autres, grâce à des indices qu’on trouve au fil du texte, dans des notes, dans des interviews, ou dans des travaux universitaires. Ces lectures me nourrissent depuis des années, et c’est donc tout naturellement que j’ai choisi cette littérature-là pour ma thèse. Mon corpus commence en 1948, année de publication de L’Affamée de Violette Leduc, et qui est pour moi un roman incontournable de la littérature lesbienne, tant par le contenu que par le style. (…)

Au cours de cette période, quelles sont les autrices, les livres qui vous ont le plus marquée ? Je l’ai déjà mentionnée, mais Violette Leduc aura toujours une place à part dans mon cœur. Je ne connais personne qui lui arrive à la cheville pour décrire la passion amoureuse ou l’amour lesbien. Mais je dois aussi beaucoup à Nina Bouraoui : la littérature française manque encore cruellement de représentations de lesbiennes arabes, et ses ouvrages ont contribué à ma construction plus sereine d’une identité complexe. Il y a aussi Virginie Despentes dans mon Panthéon personnel : j’ai rédigé mon mémoire de master sur ses personnages féminins, et j’aime tout chez elle : ses romans, sa théorie, sa vie, sa dégaine, ses prises de position, et cette propension à mettre les dominant.e.s mal à l’aise en toute circonstance. Elle est bien moins connue, mais j’aime aussi beaucoup Jocelyne François : dans les années 1960, elle a quitté mari et enfants pour rejoindre celle dont elle était amoureuse depuis le lycée : elles ont ensuite vécu ensemble dans une maison en pleine campagne, dans le sud de la France, sans rendre de comptes à qui que ce soit, chacune se consacrant à son art. (…)

Quelles sont les principales évolutions de la littérature lesbienne que vous avec constaté au cours des 7 décennies qui couvrent votre thèse ? Il serait tentant de dire que tout est plus simple pour les autrices lesbiennes aujourd’hui, qu’elles peuvent tout écrire, tout publier, mais c’est une illusion d’optique. Il y a l’exemple de la censure : elle perdure, malgré tout. Cela se voit indirectement chez Constance Debré : certes, ses livres sont publiés, mais c’est parce qu’elle est devenue lesbienne qu’on l’empêche de voir son fils (c’est un des thèmes de Love me tender). C’est sa vie même qu’on cherche, dans une logique lesbophobe, à censurer. Alors certes on ne trouve plus de passages violemment supprimés comme chez Violette Leduc, mais que se passe-t-il en amont de la publication ? Combien d’autrices se retiennent d’écrire certaines choses ? Qu’est-ce que les éditeur.trice.s leur font retirer des manuscrits ? Il y a également peu de publications, chaque année, en France et ailleurs : où sont les autrices lesbiennes  ? Sont-elles victimes d’un syndrome de l’imposteure, les décourage-t-on d’écrire ? Il est par contre notable qu’une grande diversité d’autrices et d’œuvres a émergé : cela se voit notamment au niveau des classes sociales, qui sont aujourd’hui toutes représentées dans la littérature lesbienne. (…)

En 2021, diriez-vous que la littérature lesbienne reste stigmatisée, ou au contraire qu’elle bénéficie d’une visibilité et d’une représentation qui se sont accrues au fil des années ? La littérature lesbienne subit selon moi le même sort que les lesbiennes elles-mêmes : une absence de prise au sérieux qui conduit à une invisibilisation quasi totale. Je n’ai pas étudié une seule autrice lesbienne au collège ou au lycée. Idem en Prépa, puis à l’université en Allemagne. Lorsque j’ai proposé mon sujet à mon directeur de mémoire, qui était proche de l’âge de la retraite, j’ai appris qu’il n’avait encore jamais dirigé de mémoire sur une autrice lesbienne. (…)

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Retrouvez l’intégralité de cette rencontre dans le numéro #82 de Jeanne Magazine.

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