[Mise à jour 07/10/2020: Arrestation et détention de Vika Biran]

Alors qu’elle se rendait à la Marche des femmes de Minsk du 26 septembre avec un drapeau arc-en-ciel, la militante Victoria Biran, qui nous a accordé une interview dans le dernier numéro de Jeanne, a été arrêtée par la police. Deux jours plus tard, elle a été condamnée à 15 jours de détention administrative qu’elle purge dans le tristement célèbre centre de détention de la rue Akrestina qui est devenu synonyme de torture. En tant que militante LGBT +, Victoria Biran court un risque accru de mauvais traitements. Elle est une prisonnière d’opinion et doit être libérée immédiatement et sans condition. Amnesty International appelle les autorités bélarussiennes à libérer la militante LGBT +. Nous vous invitons à demander sa libération sur le site https://www.amnesty.org/en/documents/eur49/3143/2020/en/

Hier, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a prêté serment en secret pour un sixième mandat. Plusieurs Etats européens ont dénoncé l’obstination de l’autocrate biélorusse, qui affirme avoir gagné avec 80% des voix. L’Allemagne a déclaré « ne pas le reconnaître« , faute de « légitimité démocratique » et le Département d’Etat américain a déclaré que les Etats-Unis « ne peuvent pas considérer Alexandre Loukachenko comme le président légitimement élu« . « Les élections du 9 août n’étaient ni libres ni justes. Les résultats annoncés étaient truqués et ne confèrent aucune légitimité« , a affirmé un porte-parole de la diplomatie américaine. Plus de 150 personnes ont été arrêtées par la police qui a dispersé des manifestations de l’opposition contre la prestation de serment inattendue de Loukachenko, confronté à un mouvement de contestation historique.

Depuis le mois d’août, des dizaines de milliers de personnes manifestent chaque dimanche à Minsk, pour protester contre la réélection contestée du président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 26 ans. Tout comme l’opposition politique, ces mobilisations sont constituées de nombreuses femmes, dont certaines ont brandi le rainbow flag lors de la marche des femmes qui s’est tenue le 5 septembre dernier, dans la capitale Biélorusse. La militante Vika Biran, qui documente le quotidien des personnes LGBTQ+ vivant en Biélorussie, nous éclaire sur la situation des lesbiennes dans le pays. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 78 de Jeanne Magazine.

(…) Suite à la réélection du président Alexandre Loukachenko, la Biélorussie connaît actuellement un soulèvement civil sans précédent. Tout comme l’opposition politique*, les femmes sont très majoritairement à la tête des manifestations qui sont organisées chaque dimanche. Comment l’expliquez-vous ? Je pense vraiment que la raison principale et la cause de ce mouvement est notre président Loukachenko, qui est un homme très sexiste et qui vit et pense comme si nous étions encore au Moyen-Âge. Lors d’un discours prononcé au cours de la dernière campagne présidentielle, il a expliqué par exemple que notre constitution « n’a pas été créée pour les femmes » et qu’il est « trop difficile pour une femme d’être présidente ». Ces propos ont mis les femmes biélorusses particulièrement en colère et elles ont donc très spontanément rejoint la rue pour grossir les rangs des opposants au pouvoir qui étaient principalement composés au départ de militants. Ces femmes n’étaient pourtant pas des habituées des manifestations, mais elles ont compris grâce à ces élections que le président qui les gouverne ne les considère pas vraiment comme une partie de la société biélorusse et qu’il ne les respecte pas. Elles se sont également servi du système qui interdit aux hommes de taper les femmes. Elles savaient qu’en manifestant, les policiers qui frappaient les hommes, ne s’attaqueraient pas à elles. Au début de ce mouvement de révolte, elles ont organisé leurs propres marches, prévues tous les samedis, mais, assez vite, la police a changé sa manière d’opérer et a fini par s’en prendre aux femmes de la même manière qu’elle s’en prenait aux hommes les autres jours de manifestations.

manifestation-septembre-bielorussieVous avez récemment expliqué lors d’un débat organisé par ELC Eurocentralasian Lesbian Community que vous « souhaitiez soutenir vos compatriotes et que vous vouliez prendre part à ce mouvement » ce qui explique pourquoi vous êtes revenue en Biélorussie. Quelle est l’ambiance actuellement dans le pays ? Les Biélorusses se disent clairement que si les choses peuvent changer, c’est en ce moment que cela peut se faire. Ils n’ont plus peur désormais. On croise dans les rues des personnes issues de toutes les catégories socio-professionnelles et de différentes origines. Ainsi tous marchent côte à côte, lesbiennes, ouvriers, professeurs, docteurs, cadres supérieurs… toute la société est unie autour d’un but commun : changer les choses pour que le quotidien s’améliore. Les Biélorusses sont contents de s’unir contre la politique du pays. Aujourd’hui ils peuvent tous partager leurs avis sur ce qui devrait changer, ce qui n’était pas si courant avant, car cela pouvait être dangereux. Les rues sont le théâtre chaque week-end de très importantes manifestations, comme nous n’en avons jamais connues dans le pays. La force qui anime la population lui donne le courage de marcher dans les rues encore et encore malgré la répression policière.

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C’est pour des raisons de sécurité que de nombreux militants LGBT ont fait le choix de se joindre aux manifestations sans évoquer les combats menés pour l’égalité des droits ? Oui, certains militants LGBT ne souhaitent pas être confrontés à l’homophobie qu’il peut parfois y avoir parmi les manifestants (même si comme je le disais, c’est minoritaire, il ne faut pas l’oublier). Beaucoup de militants LGBT pensent également qu’il faut agir avec ordre en détruisant dans un premier temps la dictature en place et ensuite de commencer à travailler sur les combats menés par les personnes LGBT pour l’égalité des droits. On sait cependant que cet ordre ne fonctionne pas toujours, on en a un exemple concret et très proche de nous avec l’Ukraine. Je me suis d’ailleurs moi-même posé cette question de la visibilité dans la rue et j’ai réalisé combien il est important dès aujourd’hui de faire flotter les drapeaux rainbow dans la rue au sein des manifestants. Il faut que ce soit une société biélorusse diversifiée, plurielle qui remporte ce combat de la rue, une société libre de tout stéréotype dans laquelle il y a une place pour les personnes LGBT.

En quoi la pression exercée par la Russie sur les gouvernements de l’Europe de l’Est et sur celui de la Biélorussie influence-t-elle la situation de personnes LGBT dans votre pays ? L’influence russe est très importante ici. Par exemple, il y a quelques années, nous avions organisé un événement pour présenter une version papier de MakeOut, mais la police est intervenue à cet événement et ils nous ont expliqué qu’ils avaient reçu un appel anonyme leur disant que nous faisions de la « propagande homosexuelle ». Nous leur avons répondu, qu’en effet notre magazine est LGTB mais qu’il n’existe pas de loi en Biélorussie interdisant la « propagande homosexuelle » contrairement à la Russie. Ils ont fini par partir, mais cela montre bien l’influence présente ici. Et cette influence est aussi financière. Loukachenko s’est encore rendu très récemment à Sotchi pour y recevoir un soutien financier de la part de Poutine. Le capitalisme marche à plein régime ici au niveau politique.

* Svetlana Tikhanovskaïa, candidate à la présidentielle qui revendique la victoire face à Alexandre Loukachenko est désormais exilée en Lituanie. Maria Kolesnikova qui a été enlevée par des hommes masqués au lendemain de la manifestation du 6 septembre, est actuellement détenue, accusée d’« atteinte à la sécurité nationale ». Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature, seule membre de la direction du « conseil de coordination » créé par l’opposition pour négocier une transition au pouvoir est encore en Biélorussie et en liberté, mais a fait l’objet d’intimidations.

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Retrouvez l’intégralité de cette rencontre dans le numéro #78 de Jeanne Magazine.

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