Ce que j’aime dans la littérature ado, c’est de pouvoir vivre ce que je n’ai jamais vécu : la découverte d’une première liberté, l’émoustillement des premiers désirs, les métamorphoses de l’âme. Un transport, le premier, vers une parole propre incarnée. 

Ce que j’aime, c’est l’exaltation du doute, la friction tantôt douce tantôt rugueuse avec le monde, les tentatives à répétition. Cet âge où l’on persiste à vouloir enfin se rejoindre, un perpétuel recommencement.

Ado je lisais de la littérature adulte pour la même raison : trouver des portes de sorties, des moyens de libération. Les héroïnes de Marguerite Duras, Pearl Buck ou des sœurs Brontë ont ouvert des brèches en moi. Et je rêvais de parler chacune de leur langue.

D’ailleurs, je me suis retrouvée dans Olivia, la protagoniste d’Apprivoiser l’été. Comme elle, je me sentais souvent seule au sein des bandes d’ami·es, je me fichais de rouler des pelles aux garçons du collège et je préférais lire, rire avec mes sœurs ou aller au cinéma.

Olivia est « un bébé de l’été » qui n’a pas vraiment envie que le passage au lycée fasse disparaître son enfance. Elle aime lire au creux des arbres, bavarder avec Samuel, rire avec Sonia, se balader sur la plage.

L’été de ses quinze ans tout se trouble. Elle découvre le bonheur de la masturbation. Elle s’incarne enfin, ça bouillonne à l’intérieur. Elle rencontre Éole, danseur·euse tourbillon qui lui présente sa bande des Queer Moustache avec qui iel fabrique des spectacles de rue. Fluidité des métamorphoses. Olivia fait un stage avec Ivan au Club journal local, s’échappe au festival d’Avignon, navigue avec chahut entre ses potes et sa famille, résiste violemment aux assignations, aux identifications. Jusque-là elle était monde, elle fait désormais corps, et ses désirs s’affolent.

Je viens d’avoir quinze ans et mes doigts trempés sentent l’odeur de mon sexe, et mes cheveux sont courts et mon regard fier. Je sens en moi un changement, à la fois immense et imperceptible. Une idée farfelue me reste dans la tête : c’est comme si, désormais, je m’étais mise à habiter mon propre corps.

Les phrases de Marie Boulier sont énergiques, pleines d’ardeur. Elles pétillent de vie, mènent le récit à la vitesse d’une onde. Ça bat à l’intérieur du texte, ça pulse sous les doigts et on voudrait que jamais l’été ne s’arrête.

Après un mois de juillet au village familial, Olive rejoint sa Mamie-hippie sur les hauteurs de l’Ardèche. Cet exil la met en rage. Il faut dire qu’au fil des semaines, elle a accumulé pataquès et incompréhensions. 

De mes yeux brûlants jaillissaient le cœur brisé de mon amour non partagé pour Éole, les regrets de la façon dont je m’étais comportée depuis le début de l’été avec Sonia, le manque, oui !, le manque du Ivan que j’avais appris à apprécier, chaleureux et attentif, et puis l’incompréhension de moi-même, ballottée entre ce que je croyais être des vérités et mon univers basculé avec la découverte, au côté des Queer Moustache, d’une infinité d’autres possibles.

Août, mois de transition, sera témoin de nouvelles rencontres – Sidonie qui excite et terrifie, le monde frénétique du cinéma – et de réconciliations. Par la passion, de l’amour et des images, Olive se rejoint. C’est beau, ça fait du bien.

De chapitre en chapitre, Marie Boulier exalte les sensations. Sa prose exsude un désir de doux et de tendresse. Les relations amicales, amoureuses et intergénérationnelles font le cœur vivant, aussi puissant que fugace, de cette parenthèse estivale. Avec acuité, l’autrice dépeint une adolescence idéale – celle qu’on aimerait pouvoir vivre –, celle où tout est véritablement possible. 

Les héroïnes de mon époque s’affrontaient violemment aux scripts rigides qui entravaient leurs existences. Je sais désormais vers quels récits me tourner pour rêver d’une vie sans aliénation.

Par Adèle Cassigneul

Apprivoiser l’été de Marie Boulier (collection L’Ardeur – Editions Thierry Magnier)

Cet article a été initialement publié dans le numéro 105 de Jeanne Magazine

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