« Je pense que mon témoignage pourra peut-être servir à d’autres. Et que vous pouvez nous aider à nous faire entendre » C’est par ces mots que Sandrine, 36 ans est entrée en contact avec Jeanne Magazine pour nous raconter son histoire. Née dans une famille Témoin de Jéhovah, la jeune femme a été excommuniée après que les anciens de sa congrégation ont appris sa relation amoureuse avec Mélanie, vivant également au sein de la communauté. Photos Aurore D. Photographie. Extrait du témoignage publié dans le numéro 53 de Jeanne Magazine.

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Ma famille est témoin de Jéhovah depuis deux générations. Je n’ai jamais fêté mes anniversaires, ni Noël, ni Pâque ni aucune autre fête que la plupart des personnes fêtent en famille. Je vivais ma petite vie de témoin Jéhovah. Fille d’ancien (responsable de la communauté locale), j’ai été éduquée dès le plus jeune âge avec la croyance qu’un jour ce « système de choses » serait détruit par Dieu et que seuls les témoins de Jéhovah et ceux qui servent ce Dieu ou qui ne le connaissent pas seraient sauvés, et pourront par la suite vivre dans un paradis terrestre. Afin d’être sauvée et surtout de rendre ma famille fière de moi, j’ai décidé de me faire baptiser à mes 14 ans et je suis donc pleinement rentrée dans leur communauté parce que c’est ce que j’avais toujours connu. Néanmoins, depuis ma petite enfance je savais que j’étais lesbienne. J’ai continué de suivre les croyances que mes parents et cette organisation m’avaient inculquées jusqu’à mes 33 ans. À 32 ans, j’ai rencontré dans la communauté des témoins de Jéhovah, Mélanie, qui est devenue ma meilleure amie à cette époque-là. Puis, nous sommes devenues de plus en plus proches, et nous sommes tombées follement amoureuses. Nous avons beaucoup lutté car nous étions perturbées toutes les deux dans notre conscience. Nous avons lutté entre ce que nous ressentions et ce que nous devions faire pour faire plaisir à Dieu. Finalement, notre relation a continué d’évoluer et nous sommes devenues plus intimes. La culpabilité nous a tellement rongées que nous avons fait appel aux anciens de notre congrégation et nous nous sommes confessées ensemble. Mais, en parler aux anciens fut le début de l’enfer. Ils nous ont interdit de nous voir et de nous parler. Et ils ont constitué un comité judiciaire (système de jugement interne) pour mener une enquête sur ce que nous avions fait. Cela devait déterminer à quel point nous étions coupables, de quel péché et surtout quel serait notre avenir dans la communauté. Ils nous ont interrogées : Quand était-ce ? Où cela s’est-il passé ? Étiez-vous habillées ? Combien de temps l’acte a-t-il duré ? Lui a-tu touché les seins ? Y a-t-il eu pénétration ? L’as-tu violée ? As-tu déjà éprouvé du désir pour une autre femme ?

Il a fallu répondre à chacune de ces questions. En pleurs. Avec la sensation d’être encore plus sale qu’un criminel parce que j’avais fait l’amour avec la femme que j’aimais. Le pire, c’est qu’à cet instant je me suis dit que je voulais être honnête et me relever, donc j’ai répondu à toutes leurs questions. Je leur ai dit que je savais que j’étais lesbienne depuis toujours. Ils m’ont alors excommuniée de la communauté et ont donné un blâme à Mélanie sans l’excommunier. Pour ma part, cela voulait dire être reniée de toute ma communauté. Isolée, et bannie si je ne me repentais pas en m’humiliant, en revenant chaque semaine à leur réunion tout en ne parlant à aucun d’entre eux. Cela voulait dire passer par l’humiliation publique et l’isolement social pendant plusieurs mois avant de pouvoir retrouver une place dans la communauté. Alors j’ai fait appel de la décision et je suis repassée devant un comité de six anciens cette fois. Finalement ils ne m’ont pas excommuniée à ce moment-là. Ils m’ont disciplinée en privé. Cela veut dire que notre histoire était censée rester secrète et qu’il fallait passer par une étude avec deux anciens et faire des efforts pendant plusieurs mois. Mais au moins je ne quittais pas la communauté. Mais ce n’était pas fini pour autant. Pendant un an et demi je n’ai pas eu l’autorisation de parler avec Mélanie même à la salle. Nous n’avions pas le droit d’être invitées ensemble à des soirées. Et interdiction de se parler par quelques moyens que ce soit, à peine avions nous le droit de nous saluer. Ce fut une torture. Nous étions amoureuses, remplies de culpabilité et blâmées par nos proches. Il a fallu tout accepter de la part des anciens. Ils avaient leur mot à dire sur tout ce que je faisais. Ils m’ont interdit de garder mes cheveux courts , de porter des chapeaux d’homme, de porter des leggins et des ballerines ensemble à la salle (le lieu de rassemblement des TJ). J’ai eu interdiction de porter des cols roulés. Tout cela parce qu’ils estimaient que cela n’était pas digne du service pour Dieu. Mais cela était juste valable pour moi. Les autres faisaient ce qu’elles voulaient. Je me suis pliée à tout. Contrainte et forcée, en colère, mais je me suis pliée à tout.

La seule chose que je n’ai pas faite comme il fallait c’est que j’avais gardé des contacts ponctuels avec Mélanie. Elle me manquait trop pour que je reste sans elle. Je suis tombée en dépression. Je n’avais l’impression de vivre que quand je pouvais lui parler ou la voir. Mais, notre histoire s’est ébruitée au sein de la congrégation et nous avons alors subi du harcèlement de certains de nos coreligionnaires. Des réponses orientées pendant les réunions, des propos provocateurs en public afin d’énerver ma famille et d’amener mon père à s’énerver pour qu’il perde « ses privilèges » d’ancien. Ils m’ont même surveillée chez moi.

J’ai alors commencé à faire des recherches sur les Témoins de Jéhovah, leurs croyances, leur histoire. Bref, j’ai été choquée de ce que j’ai appris. J’ai retrouvé Mélanie, et nous avons décidé de partir ensemble. Aujourd’hui, nous sommes mariées depuis un an. Nous sommes heureuses ensemble. Mais ce qu’on oublie de dire c’est que le calvaire n’est pas terminé, car nous sommes seules ! Nous avons quitté notre cercle social. Ma famille m’a reniée et cela fait deux ans que je n’ai aucune nouvelle de mon frère et de ma sœur. Mon père ne souhaite plus me voir et ma mère accepte tout juste mes appels mais ne me donne plus de nouvelles. Nous avons quelques « amis » mais notre cercle social est détruit. Cela impacte notre vie de tous les jours après être sorti depuis deux ans du mouvement. Aujourd’hui nous avons des projets, nous souhaitons vivre heureuses.

Bouleversée par cette histoire poignante, Jeanne a voulu en savoir plus sur l’expérience vécue par les deux jeunes femmes et surtout sur la façon dont elles ont rebondi en développant un projet touristique qui leur tient beaucoup à cœur aujourd’hui. Sandrine et Mélanie ont répondu à nos questions. Retrouvez leur témoignage en intégralité dans le numéro de juin de Jeanne Magazine.

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