Pour Jeanne Magazine, Marie nous présente le Collectif Famille.s, né pendant le premier confinement, qui a pour objectifs de connecter, soutenir, et inclure les familles LGBTQIA+ au coeur de la vie des citoyen.ne.s, des milieux éducatifs, professionnels et médico-sociaux et de les faire rayonner. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 81 de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous vous présenter pour que nos lectrices puissent faire connaissance avec vous ? Je m’appelle Marie, j’ai 40 ans, une amoureuse, Solène et 3 enfants en garde alternée avec leur père. En 2016, après 15 ans de mariage hétéro classique et d’une vie dite « normale », tout bascule. Je tombe profondément amoureuse d’une personne. Cette personne est une femme de quinze ans de moins que moi. Je comprends alors que j’aime les femmes, que j’ai rencontré l’Amour et surtout que je veux pouvoir le vivre. A ce moment, elle est étudiante dans l’établissement supérieur que je dirige. Tout vol en éclat : le mariage, le travail (incompatible avec ma relation et ce particulièrement en temps de manif pour tous) et mon image sociale. Ma vie et celle de ma compagne sont jetées en pâture sur la place publique de certains réseaux réactionnaires. Mes enfants subissent les railleries à l’école. Aux yeux du monde (celui que je connais à ce moment-là) et de mon entourage, c’est le choc. « J’abandonne ma famille, mon mari, mes enfants », « je change complètement, je ne suis plus la même, je me perds… » alors certains m’écrivent chez moi, on prie « pour que je retrouve mon chemin ». Les gens se questionnent : que m’est-il arrivé ?  Pour moi, c’est le début de mon histoire et la fin de la “vitrine” que je me suis construite pour me rassurer. En prenant cette décision, j’embarque avec moi mon entourage, ma compagne et mes enfants en première ligne. J’ai mis 4 ans à me pardonner, à comprendre et à me reconstruire. Je suis plus heureuse que jamais. Je sens que je suis à la bonne place, à ma juste place.

Vous avez récemment lancé le Collectif Famille.s, un projet autour des familles et notamment homoparentales. Quel en est l’objectif et comment ce projet a-t-il pris vie ? Ce projet est né d’un constat pendant le premier confinement. Solène faisait l’école à la maison pendant que moi je gérais les urgences au travail. C’était la première fois que le rôle de Solène à la maison était public et reconnu. Elle était en lien direct avec les professeur.e.s. J’ai commencé à me pencher sur le sujet de la visibilité des familles homoparentales et LGBQIA+ dans notre société. Je voyais toute l’énergie déployée par des associations (APGL, les enfants Arc en ciel) pour aider les familles dans leur démarche pour devenir parents. Mais les nombreuses familles qui existent, les enfants qui grandissent, qui est là pour les aider ? Est-ce que la société est prête pour les accompagner ? A ceux qui pensent que l’homosexualité n’est plus un sujet, je réponds alors que si, il en est un brûlant. Qu’ils et elles n’ont qu’à descendre dans la rue, prendre la main d’une amie ou d’un ami, et se mettre dans notre peau pour comprendre que c’est un sujet. C’est donc aussi un sujet pour nos enfants… En fouillant sur les réseaux sociaux j’ai découvert de nombreux comptes de personnes engagées qui prenaient la parole sur leur vie de parent LGBTQIA+.  Mon ambition a donc été de proposer de rassembler tout ce qui était fait. J’ai écrit l’intention, je l’ai présentée auprès de personnes déjà allié.e.s et auprès de personnes plus sceptiques (qui pourraient devenir des allié.e.s). Mon souhait était d’être « reliante » pour avoir un impact sur le plus grand nombre. Après avoir écrit la note d’intention j’ai pris contact avec Anna Vergiat, Marie-Clémence Bordet, Léa Cayrol, Emil de Chez Papa Papou, Stéphanie de Demande à tes mères, Constance du podcast « les enfants vont bien » et bien d’autres… Les retours ont tout de suite été très favorables. Le ton et le discours étaient partagés. Nous avons alors fait des réunions tous ensemble pour passer à une intention collective, nous avons choisi le nom et travaillé en cercles pour dessiner les premières actions à mettre en place. Nous avons aussi défini la ligne sur des sujets de fond. Depuis nous travaillons en mode plus resserré, avec un noyau dur composé de Léa Cayrol, Marie-Clémence, Solène et moi, Stéphanie en embuscade et un conseil des sages. L’objectif : faire rayonner nos familles et cela bien au-delà des communautés LGBTQIA+ et inviter chacun.e à nous accueillir avec et au-delà de nos différences.

Les témoignages que chaque membre de l’équipe a publié sur votre site internet montrent un vide et une solitude dans certains actes du quotidien (l’inadaptation administrative, le regard des autres parents…) lorsqu’on est en couple homo et parents. Quelles sont, selon vous, les spécificités d’une famille homoparentale ? Une des spécificités que je peux ressentir dans mon parcours de famille recomposée, c’est l’invisibilité de nos familles et le fait que souvent les gens préfèrent ne pas en parler. Je pense qu’il faut justement en parler car plus nous en parlerons, plus cela deviendra “normal”. 

Avec le Collectif Famille.s, « vous cherchez à rapprocher notre communauté et créer l’adelphité ». Diriez-vous que cet aspect vous a manqué dans votre parcours de famille homoparentale / recomposée ? Quelles activités souhaitez-vous mettre en place pour créer ce lien ? Dans mon cas spécifique j’aurais aimé savoir et comprendre que je n’étais pas seule, dire à mes enfants qu’eux non plus n’étaient pas seuls. J’aurais aimé avoir des livres à leur partager, des films et dessins animés de référence pour s’inspirer. Non pas des livres qui traitent de la différence mais des livres qui montrent la diversité. Ma compagne en a trouvé quelques-uns qu’elle lit aux enfants régulièrement. Cela demande du temps car les références ne sont pas très nombreuses et ne sont pas diffusées partout. Des allié.e.s qui m’ont manqué aussi. Ces personnes ressources qui deviennent des piliers dans nos parcours. Qui sont-ils.elles, où sont-ils.elles quand tout bascule ? En qui avoir confiance ? Nos objectifs et actions seront mené.e.s au travers de 5 piliers : Rayonner, connecter, former, sensibiliser et incuber.

Vous n’oubliez pas les enfants dans votre collectif puisque des ateliers et des jeux sont prévus pour qu’ils puissent eux aussi se retrouver. En quoi expliquez-vous que ces moments passés avec d’autres enfants issus de familles homoparentales, monoparentales, co-parentales ou encore recomposées soient un facteur de développement et de soutien pour eux ? Partager sur son quotidien avec des personnes qui vivent la même chose est source de richesse. Partager les « best practices », comment répondre à une attaque, se dire que l’on n’est pas seul… Je me souviens de ce jour où j’ai laissé mon ordinateur dans le salon. Le site était presque prêt et ma fille est allée découvrir les témoignages. Elle m’a rejointe et m’a dit : « maman c’est super de voir que l’on n’est pas seuls et qu’il y a plein d’autres familles comme nous ». 

Vos enfants ou ceux des membres de l’équipe du collectif, ont-ils, par exemple, déjà posé des questions spécifiques à leur modèle familial ? Si oui, pouvez-vous revenir sur ces questions et les réponses que vous pouvez leur apporter ? En réalité, dans notre sphère intime, les enfants ne se posent pas vraiment de question. Solène les accompagne au quotidien à sa manière comme n’importe quel beau-parent. Pour eux, tout cela est juste. Ce qui leur a posé problème, ce sont les réactions extérieures (écoles, cercles de connaissances…) De plus, je partage régulièrement mon bonheur d’être connectée à ce que je suis profondément. Je crois que voir mon bonheur est aussi important. Ils le sentent et comprennent je crois ce que veut dire la singularité. 

Vous mettez également en lumière les ressources existantes (lectures pour enfants et pour adultes, jeux, professionnels de santé…). Y a-t-il par exemple un ou plusieurs ouvrages qui sont, pour vous, devenus une référence et qui vous ont particulièrement aidée dans votre parcours ? Ce qui fait le plus référence pour moi, ce sont les témoignages de personnes dans la vraie vie. Le témoignage d’Anna Vergiat, le livre de Marie-Clémence, les posts de Léa, les vidéos d’Emil… Plus on est intime, plus on est universel. Je crois qu’il s’agit de cela. D’où l’importance des témoignages. Alors à vous de jouer, allez-y, témoignez (le lien est sur le site). Quelques livres pour enfant néanmoins ont permis de montrer aux enfants (surtout le petit dernier avec qui Solène lit beaucoup) que le monde était bel et bien constitué de toute cette diversité : je pense à “Les garçons/filles peuvent le faire aussi”, “Princesse Kevin” ou encore “La princesse et le poney”. Des livres pour ados également sur les clichés de genre par exemple comme “Egalité Filles/Garçons, pas bête !” pour les deux plus grands, dans lesquels sont mentionnées toutes les orientations sexuelles comme étant normales.

Quels seraient vos conseils à un couple de femmes qui souhaiteraient se lancer dans un projet homoparental ? J’inviterais à avancer avec les personnes qui sont bienveillantes et accompagnantes et à mettre de la distance avec les peurs et les angoisses projetées des autres.  

Quels sont vos projets pour l’année à venir ?Nous avons identifié 4 axes principaux :

  • Informer et connecter les familles (ateliers pour les enfants, zoom pour les parents et les allié.e.s)
  • (In)former les professionnels pour sensibiliser 
  • Ecrire pour les enfants et favoriser la création de projets inclusifs
  • Sensibiliser les scolaires

Des fondations d’entreprises ont pris contact avec nous. Nous cherchons encore des sponsors et des mécènes pour soutenir nos projets. L’ambition à terme est de trouver un modèle économique qui permette d’être pérenne dans nos actions et d’être juste dans notre équilibre vie perso, activités professionnelles (nous sommes presque toutes indépendantes) et engagement.  Nous sommes en discussion avec des fonds de dotation qui soutiennent le projet et qui permettront de bénéficier d’avantages fiscaux. Pour celles et ceux qui souhaitent proposer des projets ou soutenir financièrement vous pouvez nous écrire : contact@collectiffamilles.com

Retrouvez le Collectif Famille.s sur www.collectiffamilles.com

Retrouvez cette rencontre dans le numéro #81 de Jeanne Magazine.

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