Il existe plusieurs centres d’archives LGBTQIA+ en France, mais avec le projet Big Tata, l’association lyonnaise Mémoires minoritaires a eu l’idée de constituer un réseau pour que toutes les associations et collectifs dédiés aux mémoires LGBTQIA+ et féministes puissent « mettre en commun leurs documents et partager leurs savoirs et techniques ». Et comme à plusieurs, on est toujours plus fort, de belles initiatives sont en train de naître de ce rassemblement : la création d’une newsletter sur les mémoires LGBTQIA+ ou encore la mise en place d’un système de centralisation des thèses et mémoires LGBTQIA+. Extrait de la rencontre avec le collectif.

Pouvez-vous nous présenter l’association à l’origine du projet Big Tata ? Big Tata est portée par l’association Mémoires minoritaires, établie à Lyon. L’association a été fondée en 2017, au moment où d’autres collectifs en France se sont constitués pour créer de nouveaux espaces dédiés aux mémoires LGBTQIA+ ou pour reprendre le flambeau d’initiatives plus anciennes. Il y a notamment le Collectif Archives LGBTQI créé à Paris en 2017 ou Mémoire des sexualités fondé en 1989 à Marseille.
Aujourd’hui, six associations/collectifs sont membres du réseau. Chaque organisation reste indépendante et fixe ses objectifs politiques. Nous respectons les différentes stratégies des membres notamment vis-à-vis de la non-mixité ou des modes de financement. La participation au réseau reste libre et chaque organisation peut décider de partir si elle le souhaite avec l’ensemble de ses données. L’idée est de mettre en commun les informations sur la localisation de nos collections et de partager des outils de valorisation des mémoires LGBTQIA+ et féministes. C’est aussi un réseau solidaire : nous nous échangeons des documents (livres, archives…), nous partageons nos savoirs et techniques.
Nous travaillons toustes ensemble : les membres cataloguent et utilisent les outils de la plateforme et nous développons ensemble de nouveaux services. Nous avons lancé une newsletter au début de l’année sur l’actualité des archives et mémoires LGBTQIA+ dans le monde. Nous proposons également un système de signalement et de dépôt des thèses et mémoires LGBTQIA+ afin de centraliser ce type de ressource sur une même plateforme.

Quelles motivations sont à l’origine de la création de ce projet ? Et en quoi diriez-vous qu’il diffère des centres d’archives LGBT existants ? L’idée de départ est qu’il est difficile pour des petits collectifs ou pour les associations LGBTQIA+ de prendre en charge leurs propres mémoires du fait des difficultés techniques liées à la gestion de collections documentaires ou de fonds d’archives. Ces collections et ces fonds existent mais ne sont pas mis en valeur et restent difficiles d’accès. Ces difficultés mettent en danger les collections militantes et aboutissent à l’effacement d’une partie de notre histoire commune.
L’objectif est de sensibiliser les associations, les collectifs, les militant·es à l’importance de leurs documents et de leur donner les moyens de les prendre en charge. L’autoformation, le Do-It-Yourself, l’autogestion sont des valeurs importantes pour la plateforme. Nous souhaitons décloisonner l’archivistique ou la bibliothéconomie, des savoirs qui font parfois peur. C’est en prenant soin collectivement de nos savoirs et de nos mémoires que nous pouvons construire des nouvelles politiques pour demain. Big Tata reste un outil fait par et pour les communautés LGBTQIA+. Son accès libre et gratuit sur le web en fait un projet d’intérêt général. (…)

En quoi diriez-vous que le numérique permet de réinventer la façon dont on diffuse les archives de notre mémoire collective ? Le numérique ne doit pas être une solution à tout. Il répond à des besoins de localisation des documents, des constitutions de bases de données pour la recherche, de coordination militante sur toute la France. Il permet également à certains projets collectifs qui s’appliquent à valoriser des archives LGBTQIA+, de voir le jour. C’est le cas, par exemple, de Queer code et de ses cartographies numériques qui retracent, à partir de documents d’archives, les trajectoires de femmes qui ont aimé les femmes pendant la seconde guerre mondiale. On peut également citer le projet de numérisation du magazine Clit 007, qui permet de consulter directement via un site web dédié les premiers numéros de cette revue lesbienne qui n’existe plus depuis 1986. Ces projets sont extrêmement précieux, car ils permettent aux personnes LGBTQIA+ d’avoir accès à des documents autrement peu connus par nos communautés. (…)

En mars dernier, vous avez lancé une plateforme de dépôt électronique de mémoires et de thèses LGBTQIA+. Cette idée est-elle partie d’une réflexion particulière ? L’idée est qu’un plafond de verre existe dans la recherche en études LGBTQ+ en France. Il est encore difficile de construire des savoirs spécifiquement LGBTQIA+. Alors bien sûr, il existe d’autres labels (sexualités, genre…) mais la recherche est encore peu structurée sur ces questions et nous sommes en retard si nous nous comparons à d’autres pays européens : laboratoire, écoles doctorales, bourses de thèses…
Ainsi, on a souvent peu accès aux savoirs produits par les doctorant·es et encore moins à ceux produits par les masterant·es, dont les travaux de recherche demeurent souvent confidentiels voire carrément introuvables dès lors qu’ils ne sont pas publiés ou conservés par les bibliothèques universitaires. Pourtant, c’est là que se trouve une grande partie des savoirs LGBTQIA+ construits par la recherche scientifique. Notre objectif est donc aussi de permettre aux futur·e·s chercheur·euses qui souhaitent travailler sur les personnes LGBTQIA+ de se nourrir des travaux déjà effectués en leur en donnant accès, afin qu’ils puissent les approfondir. C’est là tout l’intérêt de la recherche scientifique, car si chacun·e réfléchit dans son coin, on risque fort de redécouvrir l’eau chaude tous les six mois ! (…)

Vous avez depuis reçu de nombreuses contributions. Pouvez-vous partager avec nous les sujets qui vous ont le plus interpellés ? Tandis qu’à l’intérieur même de ce corpus de recherches les travaux sur les femmes lesbiennes demeurent relativement rares et peu accessibles, nous avons été très agréablement surpris·es de recevoir plusieurs mémoires passionnants à ce sujet. On peut citer notamment un mémoire sur les bars lesbiens à Bruxelles, un mémoire sur Monique Wittig et sa manière de penser la révolution dans la littérature, et un autre sur l’expérience de l’identité lesbienne en France et au Mexique.
Nous avons aussi reçu une thèse extrêmement intéressante sur la symbolique de la couleur rose en lien avec les stéréotypes de genre. On peut également citer le mémoire d’une juriste sur la bicatégorisation sexuée du droit comme pouvoir de normalisation du corps des personnes intersexes.
Enfin, nous avons été particulièrement honoré·e·s que la grande sociologue des médias Karine Espineira nous confie son mémoire et sa thèse sur les constructions médiatiques des transidentités.
Nous sommes ravi·es de constater que notre projet suscite autant d’enthousiasme et cela nous conforte dans l’idée qu’il y a un vrai besoin de centraliser la recherche LGBTQIA+ et de la rendre accessible ! (…)

(…)

bigtata.org

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