Après cinq tentatives de PMA, Lucie et Inès partent pour un ultime essai en Belgique. Commence alors un périple fou pour trouver LA graine. C’est le pitch du nouveau film d’Éloïse Lang, qui sort sur Prime Video le 3 mai. Pauline Mauroux la co-scénariste de La Graine et Marie Papillon qui incarne le personnage de Lucie racontent les coulisses de cette comédie bourrée de clins d’œil au public lesbien, évoquent les obstacles liés aux parcours de PMA et reviennent sur l’importance de notre représentation au cinéma et à la télévision. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 107 de Jeanne Magazine.

Pauline, comment est née l’inspiration pour écrire La Graine et pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène le sujet de la PMA pour les couples de femmes ? Cela fait partie du désir de la réalisatrice, Éloïse Lang, qui est tombée sur un article du New York Times dans lequel un couple de femmes parlait des difficultés qu’elles avaient traversées, surtout depuis la Covid. L’article abordait l’idée que les donneurs étaient de moins en moins nombreux, et je pense que cela l’a beaucoup inspirée. Elle m’a appelée tout de suite pour que nous puissions toutes les deux plonger dans ce sujet. Et très vite, en mettant en commun l’absurdité du système, du processus, nous nous sommes dit qu’il y avait un film à raconter. Nous avons pensé que la comédie s’adapterait parfaitement à cette histoire, et que cela permettrait également à des personnes, qui ne sont pas concernées par le sujet, de s’y intéresser. Et c’est ainsi que nous avons développé l’intrigue en nous concentrant sur l’histoire d’amour de ce couple, les épreuves qu’il a traversées, tout en montrant la réalité d’un système. Nous avons donc essayé de faire ce film en double lecture, en restant fidèles aux personnages en poussant à l’extrême toutes les situations, bien qu’elles existent vraiment dans la réalité. Nous nous sommes vraiment inspirées de la réalité pour raconter cette histoire, et pour montrer à quel point les parcours de PMA sont des parcours du combattant.

Marie, qu’est-ce qui vous a attirée dans le personnage de Lucie avant de l’incarner ? Ce n’est pas seulement le personnage, c’est toute l’histoire. Dès que j’ai rencontré les filles et qu’elles m’ont parlé du projet, je n’ai pas seulement voulu jouer Lucie, je voulais aussi pouvoir, à travers ce personnage, raconter cette histoire et offrir une représentation à toutes les femmes qui traversent ce parcours. Pour le personnage de Lucie, c’est assez évident parce qu’il y a beaucoup d’aspects où nous nous ressemblons elle et moi. J’aime son côté battante, elle ne baisse pas les bras. Elle fait tout pour réaliser ce rêve, pour elle et pour sa meuf, j’aime cette idée que l’amour est plus fort que tout.
Il y a peu de films LGBT, du moins en France, où les personnages féminins sont lesbiens et où ce n’est ni compliqué ni problématique. Donc, j’ai trouvé ça génial que l’histoire parle de ce couple de femmes qui s’aiment et que ce ne soit pas un problème, à part les difficultés liées au fait qu’elles veulent un enfant. Mais leur relation en tant que telle n’est pas problématique. C’est un couple comme les autres avec leurs besoins, leur amour, leurs problèmes.

Comment votre expérience personnelle a-t-elle nourri l’écriture du film pour vous, Pauline et l’interprétation de votre personnage pour vous, Marie ?
Pauline : En ce qui concerne l’écriture, ce qui est drôle, c’est que j’étais un peu novice sur toutes ces questions. Mais ma partenaire, Rozenn Le Carboulec, qui est journaliste, est experte sur le sujet. J’ai découvert des choses qui m’ont inspirée et qui m’ont aidée à prendre du recul. Et en même temps, j’étais sûre, grâce au regard de Rozenn, de raconter quelque chose de vrai, quelque chose qui ne serait pas une fausse réalité pour les femmes lesbiennes. Je savais que j’étais au bon endroit, car le fait que je n’arrive pas comme si je savais tout, m’a permis d’avoir les yeux d’une enfant et de me dire combien les choses sont absurdes.
Marie : Je pense que c’est comme Pauline, je connais le sujet parce que, bien sûr, c’est quelque chose qui m’intéresse, même si je ne suis pas à cette étape de ma vie. Je ne sais pas encore ce qui va se passer, si j’aurai des enfants ou non, mais je sais que si j’en souhaite, je passerai par cette étape. Donc je l’ai pris comme si j’étais Lucie, comme si j’étais vraiment dans ce parcours de PMA. J’ai beaucoup appris et un peu comme Pauline, j’ai trouvé ça délirant. Ça a nourri mon personnage et m’a donné encore plus l’envie et la faim d’y arriver. Et puis, dans ce personnage de Lucie, il y a forcément un peu de ma propre construction de femme lesbienne dans le monde.
Pauline : Et ce qui était drôle aussi, c’est que pendant l’écriture, Éloïse et moi, nous avons plusieurs fois fait semblant d’être un couple en prenant rendez-vous auprès de cliniques pour vraiment comprendre ce que ces femmes traversaient. Donc nous avons eu des Zoom avec des médecins, et même si nous nous faisions griller plus ou moins à chaque fois – ce qui était assez drôle -, notre objectif était de nous impliquer vraiment dans le processus. Par ailleurs, j’ai des amies qui ont vraiment entamé des parcours de PMA, et on a pu réaliser à quel point la réalité colle à ce qu’on raconte dans le film. Nous avons toujours été attentives au fait que la réalité, bien qu’elle soit romancée, devait être authentique.

Les défis auxquels Lucie et Inès sont confrontées ne sont pas seulement pratiques, vous abordez également les questions souvent difficiles associées à la parentalité en tant que telle. Pourquoi était-il important pour vous d’aborder ces aspects-là dans le film ?
Pauline : Parce que je pense que lorsqu’on est un couple de femmes et qu’on veut un enfant, on se pose mille fois plus de questions qu’un couple hétérosexuel. Un couple de femmes, du moins d’après mon expérience et les discussions que j’ai avec mes amies, se pose un arsenal de questions avant même de considérer se lancer dans une procédure de PMA. Qui va être enceinte, quel nom l’enfant va nous donner, comment allons-nous faire ceci, comment allons-nous faire cela, de quoi tu as peur… Ce n’est pas du tout le même processus que pour un couple hétérosexuel. C’est pourquoi, pour bien raconter cette histoire et pour que les femmes lesbiennes puissent s’y identifier, il nous a semblé important de ne pas omettre cette partie, qui n’a rien à voir avec l’hétérosexualité et qui malheureusement se retrouve dans les procédures médicales réelles. (…)

Ce parcours est tellement difficile qu’il peut également fragiliser la relation du couple et la mettre en péril. Marie, comment avez-vous réussi à retransmettre ce bouleversement émotionnel avec autant de justesse ? [Rires] J’ai essayé de la transmettre le plus justement possible ! Je l’ai vu dans mon entourage. Chaque fois que mes amies ont eu recours à une PMA, c’est malheureux à dire, mais au bout d’un moment le couple a vraiment été mis à rude épreuve. On sent que toutes les deux ont un sentiment d’impuissance. Et comme le dit Pauline, quand j’entends les couples hétérosexuels qui disent, “on ne s’y attendait pas, mais on le garde”, je suis toujours estomaquée. Deux femmes qui veulent un enfant ne peuvent pas dire cela. Inévitablement, elles se poseront des questions et iront loin dans la réflexion. Sans parler de l’échec – même si je n’aime pas trop ce terme – des essais qui est très dur à vivre. Moralement, c’est épuisant. Physiquement, c’est épuisant aussi. Surtout si on ne vient pas d’un milieu privilégié et qu’on n’a pas les moyens de faire dix mille essais. (…)

Bien que le film soit une comédie, il traite d’une réalité difficile pour les couples de femmes en parcours PMA, avec des problèmes tels que la pénurie de sperme et la procréation planifiée. Comment pensez-vous que le film pourra contribuer à une meilleure compréhension et acceptation de l’homoparentalité dans la société ?
Pauline : Je pense que les personnes réticentes à l’idée de l’homoparentalité comprendront que ce n’est pas un caprice. Au moment des manifestations horribles de 2013, il y avait cette idée que les gens agissaient par caprice. Que ce soit pour se marrier ou pour avoir des enfants. Ces personnes verront tout ce que ces couples de femmes doivent surmonter pour avoir un enfant. Le désir de faire famille ou celui d’avoir un enfant est universel. J’espère que là aussi, il y aura une ouverture pour les personnes, pas forcément homophobes, mais celles qui ne sentent pas concernées, de ressentir une empathie pour Inès et Lucie.
Par ailleurs, il y a une autre absurdité totale, qui est la différence de procédure entre le don de sperme et le don d’ovocyte. Actuellement, il y a beaucoup plus de dons d’ovocytes que de dons de sperme. Cependant, le don d’ovocytes, pour une femme, est, là encore, un vrai parcours du combattant. La procédure est très lourde, elle est encadrée par des entretiens avec un⋅e psy, un⋅e gynécologue etc. Alors que pour les hommes, c’est beaucoup plus… Comment dire ? Beaucoup plus simple. Donc, si ce film pouvait ouvrir un peu les esprits, et montrer aux hommes que le don de sperme est une bonne chose et que c’est un acte de générosité, eh bien pour nous, le film aurait du sens.
Marie : Ce que je veux avec ce film, c’est déjà offrir une représentation pour les personnes qui sont en questionnement, pour les jeunes LGBT qui manquent de cette représentation. Grâce à ce film, nous serons en mesure de rendre le sujet accessible. Je sais qu’à l’époque, lorsque nous en avions parlé avec Pauline, nous nous faisons la réflexion du peu de représentations LGBT que nous avons eu en grandissant. À part Mylène Farmer, qui n’était même pas gay [Rires]. Je pense que c’est important de sensibiliser les gens. Il existe encore des personnes peu éduquées sur ces sujets-là ou qui ne se sentent pas concernées. Et quand elles verront le film, je pense que l’attachement à Lucie et Inès qu’elles ressentiront les ouvrira à cette sensibilisation. À travers l’histoire de Lucie et Inès, elles seront en mesure de savoir comment se passe un parcours PMA pour un couple lesbien.

(…)

La Graine, un film d’Eloïse Lang, disponible le 3 mai sur Prime Video.

L’intégralité de la rencontre avec Pauline Mauroux et Marie Papillon est disponible dans le numéro 107 de Jeanne Magazine.

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