Lors de la marche des fiertés politique et intersectionnelle du 4 juillet dernier, le collectif féministe Mille et Une Queer, qui rassemble des lesbiennes issues de l’immigration du Maghreb et du Moyen-Orient, a pris la parole pour évoquer la situation spécifique des lesbiennes de l’immigration et de celles vivant dans les quartiers populaires. Jeanne a voulu en savoir plus sur ce jeune collectif motivé et inspirant, qui partage avec nous ses objectifs et ses actions. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro #77 de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Mille et Une Queer est un jeune collectif féministe qui rassemble des lesbiennes issues de l’immigration du Maghreb, du Moyen-Orient, et souvent issues des quartiers populaires. Ce que nous avons en commun, c’est de subir à la fois les LGBTQIA+ phobies, le sexisme, le racisme anti « arabe » et l’islamophobie. Ainsi qu’une pression sociale, qui empêche une partie d’entre nous de vivre sa sexualité au grand jour. De fait, nous ne sommes pas toutes «  arabes  ». Il y a parmi nous des femmes issues de l’immigration berbère, de Turquie et de Syrie. Mais nous avons conscience d’être néanmoins mises « dans le même sac » par une partie de la société, qui projette sur nous les stéréotypes sexistes et racistes visant la « femme arabe ».

Vous avez lancé le collectif suite à la présentation de Lesbiennes de l’immigration. Construction de soi et relations familiales par la sociologue Salima Amari. Pouvez-vous revenir sur ce moment fondateur et sur l’importance de l’existence du collectif ? C’était à La Mutinerie, à l’automne 2018. Ce fut très émouvant et puissant politiquement. Pour la première fois, on s’est « vues » et découvertes nombreuses. On a pu commencer à se compter. À se sentir moins seules. C’est la première étape pour exister en tant que groupe social. On a décidé de se revoir dans une réunion en non-mixité de genre et d’origine. Il y avait une vingtaine de femmes de 18 à 45 ans, de différentes classes sociales et vagues d’immigration. Une majorité de femmes était issue de l’immigration maghrébine, mais aussi de Syrie, de Turquie et de Lybie. Certaines étaient primo-migrantes et d’autres de la 3è génération. Des femmes portaient le voile, d’autres se revendiquaient athées. Chacune est bienvenue, quelle que soit sa tenue vestimentaire ou sa spiritualité. Au fil des rencontres, l’idée de ce collectif est née pour créer un espace sûr et confidentiel de dialogue et d’entre-aide. Pour déconstruire, aussi, les stéréotypes racistes sur la « femme arabe ». Et sortir les lesbiennes issues de l’immigration de l’invisibilité.

Quelles sont les valeurs et les causes que vous défendez au quotidien  ? Quels sont les objectifs et les actions du collectif  ? Tout d’abord, nous défendons un féminisme intersectionnel et pro-choix. Intersectionnel, car lorsqu’on est une femme arabe, noire, asiatique, rom, musulmane ou juive… qu’on est aussi lesbienne, bisexuelle ou trans, qu’on vit dans un quartier populaire… les dominations subies peuvent s’accumuler et peser sur notre bien-être, notre santé et notre liberté. Pro-choix, car nos corps nous appartiennent. Sexualité, avortement, contraception, foulard, mini-jupe, style butch, refus de l’épilation… Nous revendiquons le droit imprescriptible de chaque femme à disposer seule et librement de son corps. D’où, et de qui que viennent les injonctions, « Marie-toi avec un homme », « mets ou retire le voile », « sois une bonne beurette », « défrise-toi les cheveux »… Il s’agit toujours de contrôler notre identité, notre corps, notre sexualité, comme s’ils ne nous appartenaient pas. (…)

Si on regrette le peu de visibilité des femmes lesbiennes en général, on note l’absence totale ou presque de visibilité des femmes queer de l’immigration. En quoi est-ce primordial pour vous de visibiliser le parcours de ces femmes à travers le collectif ? En 2020, une adolescente qui se pose des questions sur son orientation sexuelle et qui tape les mots « lesbienne arabe » dans Google, est renvoyée uniquement à du contenu pornographique. En France, le terme « beurette » est aussi le mot le plus recherché sur les sites pornos. Beaucoup de queer racisé.e.s, en quête de sens et de construction de soi, n’ont ainsi aucun « role model » positif pour assumer leur identité, avec fierté. La plupart ne se heurtent soit à qu’à l’invisibilité, soit à des stéréotypes sexistes, ou des fantasmes sexuels racistes. C’est pourquoi il est essentiel de visibiliser nos parcours de vie et nos identités multiples qui sont une richesse. Et ainsi aider les jeunes générations queer « arabes » à pleinement s’épanouir.

En quoi diriez-vous que la première Marche des fiertés en banlieue est une étape vers la visibilité et une avancée pour le collectif que vous représentez  ? La première Marche des fiertés en banlieue a été un événement majeur. Elle a le double intérêt de dire aux queer qui vivent dans des quartiers populaires : « vous n’êtes pas seul.e.s ». Elle permet aussi de lutter contre l’homonationalisme, qui cherche à instrumentaliser les luttes de la communauté LGBQIA + pour stigmatiser certaines minorités, notamment les habitant.e.s des quartiers populaires.(…)

Quels stéréotypes combattez-vous avec vigueur aujourd’hui et qui selon vous collent à la peau des femmes queer de l’immigration ? Concernant les femmes queer de l’immigration, c’est assez simple, nous n’existons tout simplement pas. Dans l’imaginaire collectif, la « femme arabe » est forcément hétérosexuelle. Le premier enjeu, c’est donc d’exister. Nous voulons visibiliser nos récits, nos parcours et nos vies, sans forcément rendre visibles des individus. Il est aussi urgent de déconstruire les stéréotypes sur la « femme arabe », ou étiquetée comme telle. Que ce soit une vision hypersexualisée et qui nous fétichise, comme en témoigne le fait que le mot « beurette » soit aujourd’hui, en France, l’un des mots les plus recherchés sur les sites pornographiques. (…)

(…)

Retrouvez Mille et Une Queer sur Facebook

Retrouvez l’intégralité de cette rencontre dans le numéro #77 de Jeanne Magazine.

Parce que c’est un combat de tous les jours de faire exister durablement un magazine 100% lesbien et que seul votre soutien financier est décisif pour la pérennité de votre magazine 100% indépendant, nous vous invitons dès aujourd’hui à vous abonner, à commander votre exemplaire papier des deux premiers hors-séries ou encore à vous faire plaisir dans la boutique de Jeanne !