Malgré les menaces et les protestations, près de 2000 personnes ont marché hier dans les rues de Sarajevo, à l’occasion de la toute première Marche des fiertés organisée dans la capitale bosnienne. Les participants ont dénoncé « la haine et l’isolement« dont fait l’objet la communauté LGBT dans ce pays des Balkans, née de la chute de l’ex-Yougoslavie. « Plus de 2000 personnes ont participé à la marche et elle s’est déroulée sans incidents », a déclaré à l’AFP un porte-parole de la police, Mirza Hadziabdic. Plus de 1100 policiers, dont des membres des forces antiémeutes, ont été déployés pour boucler le centre-ville le long du trajet de la marche, a constaté un journaliste de l’AFP. « Nous réclamons une société dans laquelle nous nous opposeront ensemble à la violence, à la haine, à l’isolement et l’homophobie« , a déclaré un autre militant, Branko Culibrk.

Pays de 3,5 millions d’habitants, la Bosnie prohibe officiellement toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, mais ne reconnaît pas l’union entre personnes de même sexe. Sarajevo était la dernière capitale dans les Balkans à ne pas avoir organisé de marche des fiertés, en 2008 et 2014, des islamistes radicaux et des hooligans y avaient agressé des participants à un festival gay.

L’occasion de (re)découvrir un extrait de l’article Queer Balkans documente le quotidien des LGBT de la péninsule que nous avions publié dans un précédent numéro de Jeanne.

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Après avoir travaillé à la commission européenne, Hannah Grace Carter est entrée à l’université libre de Berlin pour y suivre des études sur l’Europe de l’Est. C’est là qu’elle a lancé Queer Balkans, un projet documentaire sur la vie, les espoirs et les difficultés des personnes LGBTI qui vivent dans les pays des Balkans. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro d’avril 2019 de Jeanne Magazine.

Nous avons eu l’occasion de rencontrer plusieurs lesbiennes à travers l’Europe qui nous ont parlé de disparités. Par exemple, être ouvertement lesbienne dans les pays plus à l’ouest est plus aisé que dans les pays de l’Est. Comment expliquez-vous qu’en 2019, nous n’arrivions pas à réduire ces inégalités ? Après quelques mois passés à faire des recherches à ce propos, je vais essayé de vous proposer quelques éléments de réponse. Ce qui semble avoir joué un rôle déterminant en Europe de l’Ouest dans les années 60 est le fait que nous ayons connu une révolution sexuelle, cela a engendré une ouverture des mentalités en terme de liberté sexuelle. L’Europe de l’Est, quant à elle, était contenu derrière le Rideau de fer, et n’a donc pas pu profiter de ce même développement. Au même moment, quelques unes des politiques communistes mises en place étaient plutôt positives pour les femmes. Elles donnaient accès à la garderie, aux soins de santé, aux possibilités d’emploi et parfois même à l’avortement. Après la chute de l’Union Soviétique et la désintégration de la Yougoslavie, il semble qu’une nouvelle vague de conservatisme s’est étendue à travers la région. Les habitants de ces pays se sont massivement tournés vers la religion, qu’il s’agisse du christianisme orthodoxe, du catholicisme ou de l’islam. Aujourd’hui, soutenir les droits LGBTI est souvent vu comme une chose que l’Europe de l’Ouest cherche à imposer à l’Est. Bien sûr, ce n’est pas juste de mettre tous les pays de l’Est dans le même panier. Si nous regardons plus précisément le cas de la République Tchèque, nous observons qu’actuellement le pays est en discussion pour introduire une loi approuvant le mariage entre personnes de même sexe. Si on regarde la carte de l’ILGA-Europe, qui note les pays selon leur législation LGBT-friendly, on observe encore que la Croatie obtient le score de 51% alors que l’Italie obtient un faible 27%. C’est donc bien plus compliqué que de dire “à l’Ouest, c’est bien et à l’Est, c’est mal”. Honnêtement, je pourrai passer des années à étudier le sujet et je pense que je ne serai toujours pas capable d’expliquer pourquoi certains pays sont plus accueillants pour les personnes LGBTI et pourquoi d’autres ne le sont pas, mais une raison pour laquelle j’ai choisi ce sujet d’études c’est justement que j’en apprends plus sur ces inégalités. (…)

Queer Balkans est un projet documentaire qui vous amène à conduire des interviews auprès de personnes LGBTI qui vivent dans les pays des Balkans. En quoi diriez-vous que la visibilité importe pour cette population ? Depuis le jour où j’ai moi-même fait mon coming out, je suis devenue une fervente supportrice du concept de visibilité queer. Il est bien plus facile de haïr ou d’avoir peur de ce que l’on ne connaît pas, mais dès que l’un de vos amis, un membre de votre famille ou bien même un personnage de série que vous affectionnez sort du placars, vous aurez un choix à faire : accepter la différence ou apprendre à vivre sans cette personne dans votre vie. Par ailleurs, beaucoup d’idées fausses et de stéréotypes collent aux personnes queer. Alors cela aide beaucoup si les gens qui ont ces fausses idées peuvent se rendre compte que nous sommes des êtres humains comme tout le monde. Une des raisons qui m’a poussée à réaliser cette série de vidéos c’est que lorsque j’ai moi-même eu à accepter ma sexualité, j’ai passé beaucoup de temps sur Internet à chercher pour du contenu LGBTI. La plupart de ce contenu venait des Etats-Unis, ce qui ne correspondait pas totalement au contexte allemand dans lequel je grandissais. Et cela a été encore plus fort pour mon collègue, Stefan, qui venait des Balkans et qui me disait n’avoir pu trouver aucun conseil judicieux ni aucun soutien sur le net pour lui permettre de préparer son coming out auprès de ses parents serbo-croates. (…)

Diriez-vous justement que le mouvement queer se développe librement dans les Balkans ? Lorsque j’ai fait mon premier voyage dans les Balkans, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes enthousiastes et pleines d’espoir. Il y avait dans l’air un sentiment d’espoir et de changement. Très récemment, nous avons même reçu de très bonnes nouvelles venues de Bosnie puisque nous avons appris que le pays était sur le point d’organiser sa première Pride Parade et venues de Macédoine aussi qui vient de voter une loi anti-discrimination. Autre bonne nouvelle avec la naissance de l’enfant de la première Ministre serbe ouvertement lesbienne, porté par sa compagne. Personnellement, oui, je suis optimiste pour le futur des Balkans mais avec quelques réserves, car en parallèle nous devons faire face à l’émergence forte de mouvements anti-genre. Autre information à prendre en compte, la Bulgarie qui refuse de signer la Convention d’Istanbul à cause de l’utilisation du terme “genre”.

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