Bien avant d’assister à la promulgation du Pacs en 1999 et au vote de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe 14 ans plus tard, les femmes qui témoignent dans ce numéro de Jeanne Magazine ont vu la naissance du Mouvement de libération des femmes, des premières Gay Prides et se souviennent avec émotion de la dépénalisation de l’homosexualité. Elles ont entre 62 et 80 ans et pour Jeanne Magazine, Patricia, Michèle et Nicole reviennent sur leur histoire et nous livrent leur regard sur les combats liés aux LGBT aujourd’hui. Extrait du témoignage de Patricia publié dans le numéro de novembre de Jeanne Magazine.

Quand et comment avez-vous compris que vous aimiez les femmes ? La prise de conscience a été assez progressive. J’avais des flashs quand j’étais ado, mais je me disais plutôt que j’étais bisexuelle et je pensais alors que la bisexualité était peut-être pas plus mal car mieux tolérée. Tout a changé à 21 ans lorsque j’ai rencontré une femme de 30 ans avec qui j’ai vécu 10 ans. Grâce à cette rencontre, je rentrais de plain pied dans ce que j’étais réellement, c’est à dire dans mon homosexualité. Nous habitions Paris, on allait voir mes parents très régulièrement, elle était acceptée comme une enfant de plus dans la famille. Je suis d’une génération où finalement, c’était plus rassurant pour des parents de savoir que leur fille vivait avec une copine à Paris plutôt que de vivre seule et potentiellement rencontrer des hommes… Cela dit, ils ont bien compris la situation. Mon père était un homme très intelligent, ouvert et à l’écoute de ses filles. Il ne voulait qu’une chose, c’est que l’on soit heureuses. Je voyais bien qu’il avait tout compris, simplement, il ne voulait pas en parler. Nous avons donc très bien vécu notre relation. Ma compagne avait ses parents en province, et ils savaient exactement qui était leur fille.

Avez-vous assisté aux premières Gay Prides organisées à Paris ? Pas aux toutes premières, car avec ma compagne, nous vivions beaucoup en vase clos, en autarcie. A cette époque pourtant, j’étais très demandeuse de savoir à quelle communauté j’appartenais, alors qu’elle, pas du tout. Peut-être est-ce dû au fait qu’elle avait quelques années de plus que moi, mais, elle avait compris d’expérience, qu’il pouvait être dangereux de ne pas se cacher. D’ailleurs, la ligne téléphonique n’était qu’à son nom, je ne pouvais pas décrocher le téléphone, et nous avions un appartement avec deux chambres… Malgré l’acceptation de notre situation par nos familles respectives, elle souhaitait continuer à avoir ce même discours, alors même que tous connaissaient la nature de notre relation. Elle avait besoin de garder cette distance et surtout de ne pas s’ouvrir sur le monde. C’est à ce moment-là que je me suis demandée à quelle famille, à quelle communauté j’appartenais. Notre vie était fluide et acceptée par tous, je n’avais pas de problème avec mon homosexualité mais cela me posait question, je souhaitais savoir qui j’étais profondément.

Comment avez-vous répondu à ces questions que vous vous posiez ? J’ai fait mon petit bout de chemin seule, et cela a commencé avec ma passion pour l’autrice Colette. Je suis encore aujourd’hui une passionnée de Colette. Grâce aux écrits de Colette, ce fut un long travail, mais j’ai tiré un petit bout de la pelote qui sortait et j’ai remonté doucement le fil qui m’a amenée à Renée Vivien, Nathalie Clifford Barney et tout ce Paris lesbos du début du XXè siècle qui m’a totalement fascinée. J’étais très fière d’appartenir à cette communauté-là et cela me convenait parfaitement. C’est de cette manière que j’ai fait mon éducation. A l’époque j’ai énormément fouiné et c’est ainsi que j’ai découvert, par exemple, à Paris une association, La Griffonne, qui éditait un très bel agenda des femmes. J’ai été très intéressée par l’histoire de cette communauté, de ce monde-là.

Lorsque vous étiez jeune, l’homosexualité était encore considérée comme un délit. Aujourd’hui le mariage pour tous a été légalisé et on parle désormais de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Imaginiez-vous cela réalisable lorsque vous vous repensez 30 ans en arrière ? Comment jugez-vous ces avancées historiques ? J’ai évidemment connu la dépénalisation de l’homosexualité en 1982 sous Mitterrand, c’était juste avant que j’intègre le ministère de la Culture. Auparavant, j’étais au ministère de l’Intérieur détachée au 36 Quai des Orfèvres donc j’étais dans un milieu majoritairement masculin et quand ils ont fini par comprendre qui j’étais, ils sont restés sympas mais foncièrement homophobes. Cette dépénalisation a été un événement énorme qui a été l’objet de remarques homophobes car dans la tête des gens l’homosexualité, principalement masculine, était associée à la pédophilie… Lorsque je suis arrivée au ministère de la Culture, c’était hyper cool. Parmi le personnel, nombreuses étaient les personnes homosexuelles et celles qui ne l’étaient pas étaient très tolérantes.

Que diriez-vous à propos de l’évolution de cette tolérance justement ? Je suis assez partagée car quand on voit la haine qu’on a vue dans la rue au moment des débats sur le mariage pour tous, la tolérance en a pris un coup… Je pense surtout qu’on est toujours l’homosexuel de quelqu’un. Par là, je veux dire que quand on vous connaît, alors on vous accepte ou on vous tolère avec parfois la petite phrase «oui mais toi tu n’es pas comme les autres», alors que si, on est comme les autres. De manière générale, je trouve que c’est difficile. Je pense à mon expérience en tant qu’élue municipale dans mon village qui compte 200 habitants. J’ai été élue en 2014 sans trop de difficultés mais j’avais été blacklistée deux fois avant, en raison de mon orientation sexuelle. Alors que tout le monde me connaît, on fait partie des plus anciennes familles du village, beaucoup m’ont vu enfant. Un homme avait fait sa petite publicité contre moi… Il y a encore aujourd’hui des couples homosexuels qui se font tabasser. Je pense qu’il est plus facile de vivre son homosexualité en ville que dans les petits villages de manière générale. (…)

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Quelles sont les différences notables à prendre en compte entre une personne âgée LGBT et une personne âgée hétéro ? Quelles sont les attentes des lesbiennes seniors ? Francis Carrier, militant de longue date de la cause gay et président du collectif GreyPRIDE, qui a pour but d’initier une réflexion et des actions auprès des seniors LGBT, a répondu aux questions de Jeanne Magazine. Extrait.

La question d’être un senior LGBT ne repose pas uniquement sur l’habitat mais aussi sur comment garder le lien social, comment se rencontrer les uns les autres car peu de choses sont faites et pensées pour la population âgée LGBT… Comment l’expliquez-vous et quelles sont les pistes de réflexion à envisager selon vous ? Hélas, l’isolement est un marqueur de notre société. Plus on a d’outils pour communiquer et plus on s’isole ! Mais les seniors LGBT vivent un isolement encore plus marqué dû à des ruptures professionnelles, familiales, l’absence de descendants, un rejet communautaire… Il faut rebâtir un respect et une solidarité inter-générationnelle : avoir des lieux communautaires (bars restaurants, associations) ouverts à toutes les générations, ne plus tolérer aucune discrimination ou propos vexatoires liés à l’âge, faire comprendre que la sexualité n’a pas d’âge et que cela ne devient pas une perversion, que les associations de parents LGBT proposent de prendre en charge des tuteurs et curateurs formés à la sensibilité LGBT, créent un système de parrainage/marrainage qui permette d’installer des liens intergénérationnels, qu’une solidarité s’exprime pour venir en aide aux plus fragiles d’entre nous… Ne pas se préoccuper de la situation des vieux et des vieilles LGBT aujourd’hui, c’est accepter sa propre maltraitance demain.

Retrouvez l’intégralité du dossier dans le numéro de novembre de Jeanne Magazine. N’oubliez pas qu’en vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !