En octobre 2020, Sarah Schlitz a été nommée Secrétaire d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité, une première en Belgique. Membre du parti Ecolo et militante féministe, elle porte notamment le projet de loi sur l’interdiction des thérapies de conversion et vient d’annoncer le financement à hauteur de plus de 300.000€ d’une exposition sur l’histoire LGBTQIA+ et de deux études, dont la première portera sur l’histoire des mouvements lesbiens en Belgique. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 102 de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et revenir sur les raisons qui vous ont motivées à rejoindre le milieu politique ? Je suis liégeoise et très jeune, adolescente déjà, je ressentais l’envie de m’engager pour la justice sociale. Et puis, petit à petit, au fil de mon engagement et de mon évolution, j’ai intégré dans ma réflexion militante que la cause écologique était aussi une question de justice sociale. J’ai alors rejoint le mouvement écolo en m’associant à plusieurs projets existants sur le terrain à Liège. Cette nouvelle forme de militantisme sur le terrain m’a permis d’intégrer la question des discriminations à la justice sociale pour laquelle je suis engagée depuis le début.
C’est dans cette optique que j’ai étudié les sciences politiques. Dans le but de m’engager et de travailler dans un secteur qui avait du sens mais sans forcément envisager la voie politique « politicienne ». À cette période-là, j’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres membres du parti écolo, et j’ai alors fait mon entrée plus officiellement dans le parti en me présentant une première fois aux élections comme candidate d’ouverture au niveau local. Avec le temps, je me suis davantage impliquée jusqu’à devenir parlementaire et aujourd’hui Secrétaire d’Etat.

En effet, en octobre 2020, lorsque vous avez accepté le poste de Secrétaire d’État à l’Égalité des genres, l’Égalité des chances et à la Diversité, quelles étaient vos motivations principales ? Je me suis dit qu’il y avait une fenêtre d’opportunité historique ! La Belgique avait, pour la première fois, un gouvernement paritaire avec un accord de majorité – une coalition -. Pour y arriver, on a négocié avec six autres partis : deux partis verts – l’un néerlandophone et l’autre francophone – impliqués dans le gouvernement, et cinq autres partis. L‘accord négocié est très engageant sur les questions d’égalité, ce qui me donnait un socle important pour avancer. Les membres du gouvernement sont des personnalités plutôt progressistes et je savais que je n’allais pas devoir me battre pour faire accepter, par exemple, le fait qu’il existe des inégalités homme-femme dans la société. Il y a aussi la mention de la Convention d’Istanbul qui est présente dans l’accord de majorité, et qui invite le gouvernement à s’engager dans la lutte contre toutes les formes de violences de genre. Tous ces éléments m’ont permis de me dire que je n’allais pas faire de la figuration pendant quatre ans, mais que j’avais des vrais leviers d’action pour avancer. Il faut savoir aussi qu’on sortait d’une période de quatre ans d’un gouvernement de droite / droite extrême à la manœuvre. Et le travail à mettre en place était réel et indispensable. Il était temps de lancer des politiques en faveur du vivre ensemble et d’apporter une attention particulière aux minorités, car rien n’avait été fait dans ce sens pendant cette période-là.

La Belgique a la réputation d’être un pays très tolérant – souvent positionné dans le top 3 du classement Rainbow de l’ILGA Europe – et précurseur en termes d’égalité des droits (mariage en 2003, PMA…). Qu’est-ce qui reste à faire selon vous et sur quelles thématiques axez-vous votre travail principalement ? Concrètement, je travaille sur deux volets. D’une part, le volet purement législatif et d’autre part, le volet qui relève plus des changements à effectuer dans le fonctionnement de la structure pour être plus inclusif. Par ailleurs, il y a un énorme travail sur les mentalités. Sur le volet législatif, je travaille actuellement sur deux gros dossiers.
À savoir, tout d’abord, l’interdiction des thérapies de conversion qui n’a pas encore été adoptée en Belgique. Bien que le projet de loi vienne tout juste d’être adopté au conseil des ministres. Il va désormais devoir passer par le Parlement au cours du premier semestre 2023, mais c’est bien engagé. Et ensuite, l’autre dossier concerne l’interdiction des opérations sur les mineurs intersexes. Ce projet de loi est, lui aussi, en cours de négociation et devrait aboutir dans les semaines à venir.
À côté de ça, je m’attache aussi à travailler sur les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes LGBTQIA +, en particulier les personnes trans, par rapport à l’accès à la santé. En Belgique, la plupart des systèmes de remboursement des soins de santé sont genrés. À l’heure actuelle, par exemple, un homme trans ne peut pas obtenir de remboursement en cas de cancer des ovaires. En conséquence, il y a toute une série d’éléments à modifier dans les lois pour pouvoir être inclusif et alléger le quotidien des personnes trans.
Il y a, par ailleurs, un gros travail à effectuer sur les mentalités. Certes, nous avons des lois qui sont parmi les plus progressistes, mais par contre les questions LGBTQIA+ continuent à rester assez taboues. Il y a encore une majorité de personnes trans qui décident, par exemple, de taire leur identité de genre au travail. Le but est d’ouvrir le débat et de permettre une discussion de ces questions-là de manière plus libre. Nous sommes actuellement en train de mettre en place des formations pour les professionnels. Puis nous soutenons les associations de terrain qui œuvrent sur ces questions-là afin de leur donner les moyens de travailler à la sensibilisation et au soutien des personnes concernées. (…)

Fin octobre, vous avez annoncé le financement à hauteur de 300.000€ de deux études et d’une exposition sur l’histoire LGBTQ+. Une très large portion va servir à financer une recherche qui portera sur l’histoire des mouvements lesbiens en Belgique. Comment s’est fait le choix des thématiques pour ces deux études ? Je suis très souvent en contact avec des associations LGBTQIA+ et avec des personnes qui travaillent sur ces sujets et clairement, ce qui revenait souvent dans leurs doléances, c’est le manque d’archives et d’études scientifiques, académiques sur les lesbiennes en Belgique. Et j’ai entendu le besoin de financer un travail académique sur le sujet, à la fois pour ne pas perdre toute la mémoire des mouvements, notamment ceux nés dans les années 60 et 70 qui ont émergé en Belgique. En effet, certaines des militantes de la première heure sont malheureusement en train de nous quitter. Je pense notamment à Irene Kaufer qui était une grande militante lesbienne et qui est décédée il y a deux semaines. Il y a urgence à collecter cette mémoire et recueillir les témoignages des personnes qui ont participé à ces luttes. Il y a aussi une vraie nécessité d’archivage de tout le travail militant qui a été fourni par les collectifs et les associations lesbiennes. Alors, oui, ça me paraissait vraiment urgent de financer cette étude-là. (…)

Dans le cadre de votre poste, vous rencontrez de nombreux collectifs et de nombreuses militantes lesbiennes belges. Quelles sont leurs revendications actuelles ? Mon cabinet s’est formé d’une manière assez identique à la manière dont je suis arrivée en politique. Par la voie du militantisme. Beaucoup de militantes et de militants ont ainsi postulé pour être conseiller en politique dans mon cabinet. En conséquence, aujourd’hui, c’est un cabinet qui est très perméable aux collectifs et d’ailleurs, en parallèle, beaucoup sont encore membres des collectifs auxquels ils appartenaient avant d’intégrer le cabinet. Par exemple, ma conseillère LGBTQIA+ travaillait à la RainbowHouse Brussels avant (Le Centre LGBTQIA+ de Bruxelles). Il me semble évident que pour servir cette cause le plus justement possible, il est important de travailler au plus près des besoins de la communauté.
L’un des axes principaux qui est mis en avant est le manque de visibilité, comme je vous le disais, des femmes lesbiennes dans les mouvements. Il leur manque aussi des lieux dédiés. (…)

En quoi diriez-vous que ce poste de Secrétaire d’État à l’Égalité des genres, l’Égalité des chances et à la Diversité est particulièrement important pour l’évolution positive de la société ? Je souris quand j’entends certains dire que l’égalité devrait être transversale et qu’on ne devrait plus avoir besoin d’un ministère dédié à ces questions-là. Alors qu’en fait c’est totalement l’inverse ! C’est d’autant plus visible avec le poste que j’occupe. C’est une première dans l’histoire de la politique belge qu’un poste au Gouvernement fédéral, uniquement dédié aux questions d’égalité des genres, des chances et de la diversité soit mis en place, et on se rend bien compte qu’on n’a jamais autant avancé sur ces questions-là ! (…)

sarahschlitz.be

L’intégralité de la rencontre avec Sarah Schlitz est disponible dans le numéro 102 de Jeanne Magazine.

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