Elisabeth Real a 38 ans et vit en Suisse où elle est photographe freelance depuis plus de dix ans. Elle nous présente The Lesbian Lives Project, initié il y a deux ans, et qui suit le parcours de lesbiennes à travers le monde afin « d’accorder une plus grande visibilité aux lesbiennes et de mettre la lumière sur les discriminations qu’elles ont à endurer« . Pour les deux premiers volumes de la série, publiés courant 2018, Elisabeth est partie à la rencontre de lesbiennes vivant en Suisse et en Afrique du Sud. Un travail de recherches minutieux, un recueil d’histoires passionnantes, qu’elle nous présente aujourd’hui. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de janvier de Jeanne Magazine.

En 2015, lorsque nous nous sommes rencontrées la première fois, The Lesbian Lives Project en était à ses débuts. Qu’en est-il aujourd’hui ? Je travaillais en effet déjà sur les deux premiers volumes de la série The Lesbian Lives Project : le premier volume aborde les histoires de lesbiennes en Suisse et s’intitule Who We Are. Lesbian Women In Switzerland, Three Stories. Et parallèlement, je continuais mon travail sur le volume dédié aux lesbiennes noires du township de Johannesbourg, When You Come Back, I Might Be Dead, commencé en 2012. C’est au printemps dernier seulement que j’ai fini le projet. J’ai repris des nouvelles de Tumi et Thuli, deux femmes qui ont été violées pour être lesbiennes et dont je suis le parcours depuis 2012. Grâce à elles, j’ai découvert d’autres femmes, à qui j’ai également rendu visite. (…)

Quel était votre objectif lorsque vous avez commencé à penser à ce projet il y a quelques années maintenant ? A-t-il évolué au fil du temps et des rencontres ? L’objectif de ce projet a toujours été d’accorder une plus grande visibilité aux lesbiennes et de mettre la lumière sur les discriminations qu’elles ont à endurer. Cet objectif n’a pas changé d’un iota au final. Ce qui a évolué, après avoir travaillé ces 6 dernières années sur le sujet, c’est que je me rends compte combien un grand nombre de lesbiennes à travers le monde sont encore victimes d’un manque d’égalité et de discrimination, voire de harcèlement, qu’elles ont à subir dans leur vie quotidienne à cause uniquement de leur orientation sexuelle.

Vous nous parliez déjà de cette rencontre marquante que vous aviez faite en 2015 avec Tumi et Thuli, violées pour être lesbiennes, à Johannesbourg. Comment vont-elles aujourd’hui ? L’histoire de Tumi et de Thuli est une part importante du volume consacré à l’Afrique du Sud. Lorsque je ne suis pas à Johannesbourg, je reste en contact avec elles grâce à Facebook et WhatsApp. Nous nous écrivons régulièrement et ce que je peux dire aujourd’hui c’est que Tumi a trouvé un emploi en tant que manager dans un restaurant et qu’elle va très bien. Quant à Thuli, elle est sans emploi actuellement et s’inquiète en permanence de n’avoir pas assez d’argent. Le fait qu’elle ait 38 ans et qu’elle vive toujours avec sa mère qui n’accepte pas son homosexualité lui pèse beaucoup sur le épaules.

Vous avez choisi l’Afrique du Sud et la Suisse pour les deux premiers volumes de la série. Pourquoi le choix de ces deux pays ? A travers The Lesbian Lives Project, l’idée est vraiment d’enquêter sur la façon dont les différents pays et leur constitution considèrent les lesbiennes : quels droits ont-elles, et est-ce que ces droits sont en adéquation avec la façon dont la société les accepte ? L’Afrique du Sud, par exemple, est le cinquième pays au monde (et le premier pays africain) a avoir inclu une clause d’égalité dans sa constitution. Les lesbiennes sont protégées contre toute forme de discrimination, de discours haineux et contre le harcèlement. Elles peuvent légalement se marier et ont accès à la procréation médicalement assistée pour avoir un enfant. Cependant et particulièrement pour les lesbiennes noires pauvres vivant dans un township, la situation est bien sombre : elles ne sont généralement pas acceptées par la société et sont même parfois violées ou tuées. La police sud-africaine enquête rarement sur ces drames et les responsables de ces crimes de haine courent donc toujours. Dans When You Come Back, I Might Be Dead, je souhaite montrer la différence qu’il existe entre l’une des constitutions les plus progressistes au monde et le quotidien bien sombre et lugubre de ces femmes lesbiennes que ce même cadre légal est pourtant censé protéger. Quelle est l’utilité d’avoir mis en place une telle constitution si la société est si peu encline à la soutenir ? La réponse courte à cette question est, bien sûr, que même si le monde n’est pas un endroit très sûr, il est encore et toujours indispensable de lutter pour l’égalité entre tous et si un gouvernement a la possibilité d’introduire ces changements dans ses lois, il ne doit pas hésiter. Mais en même temps, je m’interroge : est-ce qu’une constitution – la structure, le contrat auquel tous les citoyens sont liés – aussi forte et progressiste soit-elle peut changer une société conservatrice et en faire un pays plus tolérant et moderne ? Est-ce que c’est l’outil le plus approprié pour aider à une évolution des mœurs ? J’ai passé beaucoup de temps en Afrique du Sud, et tout ce temps m’a permis de voir que ce pays est un exemple tragique qui permet de comprendre que les lois ont leurs limites. Elles sont souvent de bien maigre utilité à celles et ceux qui ont besoin de protection. En tant que photographe suisse et autrice, je souhaitais également enquêter sur la façon dont vivent les lesbiennes dans mon propre pays. Ici, la situation comparée à l’Afrique du Sud est pratiquement l’exact opposé : les lesbiennes sont généralement bien acceptées par la société suisse, cependant il n’existe aucune égalité juridique dans notre constitution. Les couples lesbiens vivent ensemble et peuvent contracter une union civile, certains ont des enfants, et pourtant la loi continue de considérer la mère biologique comme « célibataire ». Les couples ne sont pas autorisés à adopter ni même à bénéficier des dons de sperme dans les cliniques de fertilité. Il n’existe aucune loi protégeant des discours de haine, de l’homophobie. Là encore, il y a une grande divergence sur laquelle il est intéressant de creuser. Avec The Lesbian Lives Project, je souhaite montrer ce que ces différences signifient dans la vie des lesbiennes au quotidien.

Sur votre site internet vous posez une question très intéressante : « Qu’est-ce que cela signifie d’être une femme lesbienne aujourd’hui ? ». Quelle serait votre réponse ? Je suis intéressée à la fois par les similarités et par les différences que l’on peut rencontrer chez les lesbiennes à travers le monde. C’est sûr que la vie d’une lesbienne en Afrique du Sud est très différente de celle d’une lesbienne vivant en Suisse, mais au final ne sommes-nous pas toutes fondamentalement les mêmes, en tant qu’être humain, souffrant de la même manière à cause de l’injustice ? J’ai enregistré les histoires de beaucoup de lesbiennes aussi bien en Afrique du Sud et en Suisse qui sont aimées et acceptées par leur famille et leurs amis, qui sont fières d’être ouvertement lesbiennes. De la même manière, j’ai rencontré de nombreuses femmes dans les deux pays qui ont été physiquement attaquées par des homophobes, et parfois même, presque tuées. (…)

Pouvez-vous nous dire quand nous aurons la chance de découvrir les deux premiers volumes de la série ? Le livre consacré aux lesbiennes vivant en Suisse Who We Are. Lesbian Women In Switzerland, Three Stories sera publié en juin 2018. Celui sur l’Afrique du Sud When You Come Back, I Might Be Dead, sera quant à lui disponible – je l’espère si le budget me le permet – à l’automne prochain.

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www.lesbianlivesproject.com

Retrouvez l’interview en intégralité dans le numéro de janvier de Jeanne MagazineN’oubliez pas qu’en vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer plus que 80 pages de contenu exclusif chaque mois !