Élie et toi, c’est mal. Notre Anna nous manque. Il n’est jamais trop tard… reviens. Ce sont les vœux de Noël que ma partenaire a reçu de la part de sa sœur. Et cette dernière d’ajouter : Tu apprends à tes enfants qu’ils peuvent aimer n’importe qui à partir du moment où ça les rend heureux, tu te rends compte ?

Oui, je me rends compte. Et c’est exactement ce que je veux leur transmettre. Telle aurait été ma réponse, mais la sœur homophobe ne m’a pas demandé mon avis.
Qui je suis ne compte pas. Elle pense que je suis une pécheresse qui a entraîné sa sœur cadette hors du droit chemin. À ses yeux, nous sommes possédées par le diable. Tu laisses entrer des démons chez toi, a-t-elle alerté Anna il y a quelques mois.

Love is love, fin de l’histoire ?

J’ai été élevée par un homme athée dans un pays laïc. Si j’ai découvert l’homophobie dès mon plus jeune âge, sa source n’était pas religieuse. Au contraire, je me souviens de très belles paroles prononcées par des amies croyantes.
Par exemple Magdalena, qui venait de raconter ses vacances chez nous à son mari et à son beau-frère, musulmans pratiquants. Quand je lui ai demandé la réaction de ses proches en apprenant qu’elle passait du temps dans une maison où vivait une lesbienne, elle m’a répondu : Élie, c’est de l’amour et Dieu est amour.
Mag avait tout dit. Love is love. Fin de l’histoire.

Possédée par le diable

J’ai rencontré la plus forte homophobie ancrée dans la religion en Allemagne. C’était avec mon-ami-chrétien-dont-on-ne-doit-pas-dire-le-nom, parce qu’il est caché dans le placard.
Notre amitié s’était tissée avant que je ne découvre son identité et son homophobie. Ce jour-là, nous buvions un verre chez moi et la conversation a dérivé vers la question de l’« idéologie du genre » à l’école.

« Ces gens » sexualisent, pervertissent et perturbent les enfants en leur parlant d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Les personnes homosexuelles sont possédées par le diable. La transidentité était d’ailleurs un fléau tout aussi redoutable que l’homosexualité à ses yeux.

Notre dispute était encore supportable, jusqu’à ce qu’il explose : Tu comptes beaucoup pour moi, m’a-t-il-dit, mais tu es possédée par le diable.
J’ai enfin pu identifier la cause de son bouleversement quand il a fait son coming out. Je suis né avec des organes sexuels féminins, m’a-t-il lancé, tremblant de rage. Toi et moi, on n’est pas si différents.

La révélation de son identité de genre m’était égale ; ce qui me dérangeait, c’était que mon ami m’intimidait dans mon propre appartement. Et que, selon lui, le diable nous possédait. Après avoir connu le racisme, le sexisme, l’homophobie et la transphobie, il utilisait lui-même un discours de haine pour continuer d’appartenir à sa communauté chrétienne.

Le péché lesbien

Je vis aujourd’hui entourée d’une merveilleuse communauté queer. Ces expériences sont loin. Ou, plutôt, elles étaient loin, jusqu’à ce que je rencontre Anna.
Quand nous sommes tombées amoureuses, elle était encore avec son mari. Anna et lui vivaient la « parfaite » vie de famille, entourés de leurs deux enfants.
La séparation a été un séisme. Pas pour elle. Ni pour lui. Mais pour tout le monde autour d’eux. La famille, les proches et leur communauté très, mais alors très religieuse.
Cette décision suffisait à faire d’Anna une pécheresse. Elle brisait son mariage, choisissant la facilité plutôt que de rester. Tout le monde a essayé de la ramener dans le « droit chemin », ce qui a visiblement échoué. À l’époque, les gens ne savaient même pas que j’existais.
S’il existe une hiérarchie des péchés, Anna a atteint le sommet au moment de son coming out lesbien.

Grandir chez des fondamentalistes religieux

Quand j’ai rencontré Anna, je n’avais pas compris d’où elle venait, jusqu’à ce que l’une de ses amies me révèle accidentellement le fondamentalisme de sa famille.

J’ai essayé de montrer à Anna que mon amour pour elle était inconditionnel et que son passé religieux ne me ferait pas fuir. Peu à peu, elle s’est libérée de la honte pour me laisser entrevoir son monde.
Mes parents étaient missionnaires. Cette information m’est parvenue comme la pièce manquante d’un puzzle. Je comprenais enfin tout ce temps passé en Afrique par Anna dans son enfance.

Hors de ma bulle queer

Ma relation avec Anna me rappelle qu’en dehors de ma communauté queer, le monde est cruel.
C’est un monde où il faut un courage surhumain pour faire son coming out.
C’est un monde où ma partenaire s’use à prouver que les enfants vont bien, que notre relation est saine, qu’elle est toujours digne d’amour.
C’est un monde où elle doit mentir tous les jours à sa cheffe pour pouvoir garder son travail.
C’est un monde où la femme que j’aime n’est plus la bienvenue dans sa communauté. Le pasteur lui a interdit de poursuivre le travail qu’elle faisait depuis des années avec les enfants à cause de notre relation. Le fait qu’elle soit thérapeute pour enfants, éducatrice et elle-même mère de deux garçons ne compte plus.
C’est un monde où ma partenaire est rejetée par des proches qui ne se soucient pas du fait qu’elle, moi et le père de ses enfants nous entendions parfaitement bien. Ils se fichent que les garçons soient heureux. Un péché reste un péché, et des démons restent des démons.
Dans ma communauté queer, j’ai tendance à oublier tout ça. Je suis désolée que telle soit la réalité d’Anna. J’espère qu’elle trouvera un peu de répit dans la mienne.

Élie Chevillet est une militante lesbienne et écrivaine de chroniques queer féministes. Suivez Élie sur Instagram.

Cette tribune a été initialement publiée dans le numéro 105 de Jeanne Magazine

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