Dans A Pink Story, Kate Charlesworth, dessinatrice et artiste britannique, passe en revue 7 décennies de combats et de lutte pour l’égalité des droits. Pour Jeanne Magazine, l’autrice, revient sur la genèse de ce roman graphique passionnant qui mêle son histoire personnelle à celle, collective, du mouvement LGBT+ et aborde avec nous l’importance de connaître notre histoire commune et de rester unis, à l’heure où, dans certaines parties du monde, des menaces pèsent sur le plan des libertés. Extrait de l’interview publiée dans le numéro 89 de Jeanne Magazine.

Vous nous présentez aujourd’hui A Pink Story, qui revient sur l’histoire du mouvement LGBT+, notamment britannique. Y a-t-il eu un déclic qui vous a donné l’envie d’écrire ce roman graphique ? Je dirai plus qu’il s’agit d’une accumulation d’événements qu’un déclic en particulier. Lorsque j’ai fait mon coming out, il existait très peu de bars ou de boîtes pour les lesbiennes alors, à la différence des gays, toutes se rendaient dans les mêmes lieux. Dans ces endroits, se côtoyaient ainsi des femmes butch plutôt âgées en costume cravate avec leurs compagnes très féminines et des lesbiennes plus jeunes en pantalon pattes d’éléphant, haut pailleté et chaussures plateformes. C’était un instantané d’une époque qui était en train d’évoluer. Je savais que ces jours seraient un jour révolus et quelque part, j’espérais que quelqu’un en aurait gardé la trace. Quarante plus tard, j’ai repensé à ces moments-là et c’est comme ça qu’a commencé l’écriture de A Pink Story.  (…)

Comment qualifieriez-vous la lesbienne que vous étiez enfant, puis jeune femme et enfin celle que vous êtes devenue aujourd’hui ? Lorsque j’étais enfant, je me sentais différente de bien des manières. J’étais fille unique et je pouvais faire plus ou moins ce que je souhaitais. Heureusement les années 50 n’étaient pas si genrées rose/ bleue que ça ne l’est aujourd’hui. En tant qu’adolescente geek lesbienne, j’étais intéressée par l’aspect artistique et historique de la culture LGBT+, alors lorsque j’ai fait mon coming out à 21 ans, je dois reconnaître que j’étais plutôt naïve quant à la partie pratique de la relation. Je n’y connaissais pas grand-chose à la façon d’avoir une petite amie. Et dans les temps perturbés que nous traversons aujourd’hui où parfois tout – et rien – semble avoir changé, j’ai vieilli, certes, mais je ne me sens pas comme une « vieille personne ». J’aimerais tellement que la société avance, mais la nature humaine semble ne pas avoir changée tellement. En tant que femme lesbienne plus âgée, je me rappelle parfois qu’un jour j’ai été une baby dyke, occupée à être visible et à faire les choses différemment de nos aînées, parce qu’elles étaient effrayées ou parce que certaines appréciaient l’idée de vivre dans le secret. Elles pensaient que nous faisions fausse route à vouloir être ouvertement LGBT, sans parler du fait que nous en étions fières. J’imagine que, pour elles, nous faisions trop de vagues…

Les personnes LGBT ont particulièrement souffert des conséquences de la Section 28 mise en place en 1988. Comment avez-vous vécu cette période où Margaret Thatcher était alors Première ministre ? Margaret Thatcher et son gouvernement ont mis en place cette loi, Section 28 (du Local Government Act, dans laquelle les autorités locales « ne devaient pas intentionnellement promouvoir l’homosexualité ni publier quoi que soit qui puisse faire la promotion de l’homosexualité ». Il était aussi interdit de « promouvoir dans son enseignement, de quelque école du pays que ce soit, l’acceptabilité de l’homosexualité comme relation normale ». Quelle offense ! On avait atteint le point culminant de toutes ces années d’homophobie, et l’objectif était clair : faire en sorte que nous soyons invisibles et hors de la vue de la société. Cela a engendré de la peur et encouragé l’augmentation des attaques homophobes ; qu’elles soient verbales, physiques ou imprimées, sans parler du harcèlement vécu dans les écoles. Mais ironiquement, ce chemin pavé d’obstacles nous a conduits vers plus de réformes sociales. (…)

Dans A Pink Story, vous expliquez qu’en 1988 un groupe de lesbiennes a mené des actions spectaculaires en réaction à l’adoption de la Section 28. Pourriez-vous revenir sur l’énergie qui régnait dans ces groupes de militantes ? L’une de ces actions que vous mentionnez a eu lieu en 1988 lors de la première Marche des fiertés post-Section 28 à Londres. C’est un exemple parfait qui montre la dynamique d’un groupe de personnes qui s’organisent ensemble pour protester et qui, en même temps, prennent plaisir à le faire ensemble. Il s’agissait d’un groupe de lesbiennes, toutes étaient amies, toutes étaient très politiques et quelques-unes qui étaient très actives se sont dit que c’était l’année parfaite pour organiser un char lesbien au sein de la marche. Il n’y en avait jamais eu avant cela. (…)

Dans un passage de A Pink Story, vos héroïnes reviennent sur les avancées réalisées au Royaume-Uni en faveur de l’égalité des droits LGBT, quelles sont celles qui restent à faire selon vous ? Il faut continuer de se battre, c’est certain. La loi du Gender Recognition est très largement controversée, spécialement ici en Écosse. Mais la loi a changé en ce sens en Irlande en 2015 et le ciel ne leur est, semble-t-il, pas tombé sur la tête. (…)

Partager l’histoire et la transmettre comme un héritage compte beaucoup pour vous. Quels seraient vos conseils pour la nouvelle génération ? Quand on regarde notre histoire, il est plutôt choquant de se dire que tous ces changements ont eu lieu très récemment. Et parce que tout est arrivé si rapidement, je me dis qu’ils ont l’air plutôt fragiles. Je m’inquiète beaucoup du danger derrière l’autosatisfaction. Nous avons des fous qui sont actuellement en charge à Westminster et l’extrême droite s’enhardit terriblement. Connaître notre histoire et ce que nous avons traversé nous aide à identifier les menaces lorsqu’elles commencent à percer et je pense que nous devrions être très vigilants en ce moment – bien plus, j’ai bien peur de le dire, que lorsque j’ai commencé l’écriture de ce livre. J’ajouterai également que comme toutes les luttes, il ne s’agit pas d’individus, mais de toute une communauté qui lutte pour l’égalité des droits et je pense que la chose primordiale actuellement pour la communauté LGBT, dans sa diversité et sa richesse, est de se rappeler l’importance de rester unis.

(…)

A Pink Story de Kate Charlesworth (Casterman)

Retrouvez l’interview de Kate Charlesworth en intégralité dans le numéro 89 de Jeanne Magazine.

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