Dans Blue Jean, la réalisatrice Georgia Oakley revient sur une période peu connue de l’histoire du Royaume-Uni : la promulgation de la section 28, qui interdisait aux écoles publiques de “promouvoir l’enseignement de l’acceptabilité de l’homosexualité”. Dans ce contexte, Jean (Rosy McEwen), l’héroïne du film et professeure d’EPS lesbienne, doit rester discrète pour ne pas perdre son travail. Une histoire émouvante et délicate qui met en lumière une période pas si lointaine et qui reste d’actualité dans certains pays. Article initialement publié dans le numéro 106 de Jeanne Magazine.

Qu’est-ce que la section 28 ?

Georgia Oakley situe son intrigue en 1988 au Royaume-Uni. Margaret Thatcher est alors Première Ministre depuis près de 10 ans et mène une politique très conservatrice. Dans ce contexte, une polémique éclate lors de la traduction en anglais du livre Mette bor hos Morten og Erik (Jenny Lives with Eric and Martin) de l’autrice suédoise Susanne Bösche. Ce livre pour enfants en noir et blanc est l’un des premiers à raconter une histoire d’homoparentalité. Il se retrouve assez naturellement lu dans plusieurs écoles en Angleterre mais cela n’est pas du goût de tout le monde, en particulier du Parti Conservateur qui ne veut pas que l’argent public serve à corrompre les enfants. 

Cette indignation va inciter le Parlement à prendre une mesure drastique qui se concrétise sous la forme de la section 28. Cet amendement interdisait aux pouvoirs publics de “promouvoir intentionnellement l’homosexualité ou [de] publier des documents dans l’intention de promouvoir l’homosexualité” et aux écoles de “promouvoir l’enseignement […] de l’acceptabilité de l’homosexualité en tant que prétendue relation familiale” (sic). C’est un sacré revers pour les droits des personnes LGBTQIA+ au Royaume-Uni qui allaient encore plus être stigmatisées alors qu’elles venaient de remporter la bataille de la dépénalisation de l’homosexualité. Il faudra attendre 2000 pour que l’amendement soit abrogé en Écosse et 2003 pour qu’il le soit également dans tout le Royaume-Uni. 

Pendant cette période de lutte, il y a un épisode qui marque particulièrement la réalisatrice lors de ses recherches. Le jour où plusieurs lesbiennes descendent en rappel dans la Chambre des Lords pour exprimer leur rage. Même si on ne voit pas ce moment iconique dans Blue Jean ni tout le contexte historique cité plus haut, des indices de la situation politique sont distillés ici et là via des émissions de radio en fond ou des JT. Le choix de la réalisatrice se porte plutôt sur un personnage qui n’avait pas la possibilité de militer et qui devait naviguer entre son identité et sa peur de perdre son emploi. 

Jean, une héroïne tourmentée

Même si la réponse militante a été forte face à cet article 28, les professeur.es ne pouvaient pas risquer d’être vu.es au risque de se faire virer. C’est pourquoi Jean est tiraillée entre son métier et son identité. Elle est présentée comme une anti-héroïne tourmentée qui ne nous est pas toujours sympathique en raison de ses choix contestables. On arrive à la comprendre mais on comprend aussi les ravages que cela cause pour les personnes qui l’aiment ou qui comptent sur son soutien. La journée, Jean enseigne le sport à des élèves et esquive les propositions de sortie de ses collègues. Le soir, elle retrouve sa petite amie Viv (Kerrie Hayes) et sa bande d’amies dans un club LGBT. Son histoire d’amour avec Viv est très touchante et c’est d’ailleurs l’une des parties les plus réussies du film. L’alchimie entre les deux actrices ne fait aucun doute et les scènes qu’elles partagent font mouche. 

L’autre actrice qui sort du lot est Lucy Halliday qui incarne remarquablement Loïs, une élève lesbienne de Jean. Elle se rend dans le même club LGBT que sa professeure et subit les attaques répétées de ses camarades en raison de son homosexualité. C’est d’ailleurs par ce personnage que l’on comprend à quel point les élèves de l’époque de la section 28 ont manqué de représentation, comme c’était le cas pour Georgia Oakley : 

J’ai réalisé que j’étais à l’école quand [la section 28] était en vigueur, et j’ai compris certaines choses. Pourquoi nous n’avions pas de modèles, pourquoi aucun de mes professeurs était out et pourquoi aucun de mes camarades de classe n’était out. Ce fut une révélation ! Et j’ai compris que si je ne connaissais pas cette histoire, la plupart des gens avec qui j’étais en classe l’ignoraient également. Nous étions encore trop jeunes pour être vraiment engagés politiquement.”

À travers cette histoire, la réalisatrice remet au centre les personnes qui ont lutté à leur manière pour faire cesser cette discrimination et transmet l’espoir que cette génération a véhiculé pour des milliers de jeunes et de moins jeunes qui n’osaient pas s’assumer. Georgia Oakley rappelle malgré tout que “l’héritage de la Section 28 est encore vivace, et c’est seulement un exemple de l’homophobie institutionnelle que doit endurer chaque jour la communauté LGBTQ+.”

Blue Jean est un beau film à voir dans les salles de cinéma à partir du 19 avril.

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