Il a fallu 28 ans à Alice Le Guiffant pour faire son coming out. Après une longue période de lesbophobie interiorisée et l’envie d’avancer vers une identité plus authentique, elle a voulu donner la parole à d’autres femmes pour qu’elles puissent, à leur tour, raconter leur coming out. Si le parcours de chacun est unique et personnel, il y a des émotions communes que beaucoup de femmes lesbiennes partagent dans cette période d’anxiété et de confusion. Pas étonnant pour cette passionnée du mouvement de vouloir partager nos vécus afin d’aider celle qui, peut-être demain, s’interrogera sur son orientation sexuelle et pourrait bien avoir besoin de ces histoires de coming out pour apprendre, se rassurer et emprunter plus sereinement le chemin de découverte et d’acceptation de soi. Rencontre.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et revenir sur l’origine du podcast Coming in, coming out qui fête aujourd’hui sa 30è rencontre ? Quand je suis tombée amoureuse d’une fille, la première fois, j’avais 13 ans. La première fois que j’ai embrassé une femme j’avais 35 ans. Et j’ai attendu d’en avoir 41 avant de faire mon coming out à tout mon entourage (ami.e.s, famille, relations…). Au bout de ce chemin, très long et très difficile, tout à coup, je me suis retrouvée presque étrangère à moi-même. Qui étais-je vraiment ? Pour le découvrir et mieux me comprendre, j’ai eu envie de rencontrer des femmes et apprendre d’elles. Je me suis aussi rendu compte qu’on était nombreuses – alors que je m’étais toujours sentie si seule -… Mais où étaient les autres ? Et pourquoi est-ce que je ne les voyais ni ne les entendais ?
À partir de là, je me suis dit que non seulement j’allais les écouter mais qu’en plus, j’allais les diffuser, toutes ces voix, toutes ces vies, toutes ces expériences. En plus, j’arrivais à une sorte de passage. Toute ma vie j’avais parlé et enseigné (danse contact improvisation, conférences sur la simplicité volontaire et le désencombrement, formations en communication Non Violente et Travail qui relie…), maintenant, j’allais écouter et donner à entendre ! J’ai sorti mon téléphone et commencé à poser des questions…
Les premières interviews ont été tout simplement postées sur un site Internet dédié, qui s’appelait à l’époque « vers la lumière ». Ce site est resté très confidentiel faute de publicité. Mais l’important, c’était d’être en chemin.

Pourquoi ce moment charnière du coming out – et avant cela, du coming in – est celui qui vous a inspiré la création du podcast ? L’acceptation de qui j’étais avait été si longue et si difficile que j’avais envie de savoir comment les autres femmes avaient vécu les choses de leur côté. Est-ce que ça avait été plus facile ou plus difficile pour elles ? Moi, à 13 ans, je n’étais pas du tout d’accord pour vivre cette expérience que je ne comprenais pas et dont je n’avais jamais entendu parler… . Je me disais juste que c’était dangereux et à éviter. J’avais tellement bien internalisé la lesbophobie de la société que je me suis cachée et détestée. Entre mes 13 et mes 41 ans, il y a eu plein de tentatives avortées, d’essais, de non-rencontres, une alternance d’acceptation de soi et de refus farouche, des peurs qui s’additionnent et puis la réalisation stupéfaite qu’en fait, c’était simple, beau, évident… et même OK pour tout le monde autour de moi (ou presque). Et que c’était tellement confortable d’être enfin soi-même.
J’avais l’impression de me réveiller d’un long rêve et j’avais des tas de questions. Et c’étaient ces questions et ces réponses que j’avais envie de partager. Si j’avais entendu ces voix et ces histoires quand j’étais plus jeune, ma vie en aurait été changée. Ce que je n’avais pas eu, je pouvais le donner à d’autres. Ce que je fais. Car s’il est beaucoup plus facile aujourd’hui qu’hier d’avoir accès à tout un tas de ressources, je crois que les partages d’expériences sont toujours nécessaires… et le podcast est comme une parole intime, c’est beaucoup moins froid qu’un texte lu sur ordinateur, ça peut permettre de pallier à un certain sentiment de solitude.

Dans le cadre de votre projet, vous recueillez uniquement la parole des femmes. Que retenez-vous de ces rencontres ? Il y a deux choses un peu évidentes mais frappantes qui ressortent. D’une part c’est devenu de plus en plus facile de faire son coming out au fur et à mesure des années. J’ai interviewé des femmes de 16 à 75 ans et évidemment, plus la société est « officiellement » lesbophobe, plus c’est difficile. Ce n’est pas pareil de faire son coming out après le mariage pour toustes ou avant 1980, quand c’était encore considéré comme un délit. Et puis aussi, naître lesbienne, bi ou trans dans une famille tolérante, ça simplifie évidemment toujours les choses. Je retiens aussi l’incroyable confiance que me font ces femmes (que pour nombre d’entre elles je rencontre pour la première fois) en m’offrant de raconter leur vie. Je suis toujours tellement touchée ! Il est bien rare que je n’aie pas la larme à l’œil lors d’une interview. La puissance de chaque témoignage me touche aussi. Sa singularité. La beauté de la diversité !

En quoi diriez-vous qu’au fil du temps et de ces rencontres, votre identité lesbienne a évolué ? Avant mon coming out, je fréquentais un milieu exclusivement hétérosexuel et hétéronormé et je ne connaissais rien de la communauté LGBT. Quand j’ai commencé mes interviews, non seulement j’avais tout à découvrir, mais je n’en avais pas encore fini avec la lesbophobie intériorisée. D’accord, j’étais attirée par des femmes mais bon, est-ce que je ressemblais à « ces personnes », là ? Et puis, à force de rencontrer des personnes incroyables, de les entendre parler de leur vie, de partager des moments super intimes avec elles, je nous ai toutes trouvées magnifiques. Magnifiques de courage, d’amour, d’espoir. Alors je continue de me réconcilier avec moi-même, avec la part de moi qui avait peur… Et ma lesbophobie petit à petit disparaît.

Quel serait votre message à une femme qui se découvrirait lesbienne et qui entrerait dans cette phase du coming in ou du coming out ? Je lui dirai que même si ça peut sembler compliqué, difficile, même si on a peur de perdre des amis, peut-être de se mettre à dos une partie de sa famille, même si ça peut être douloureux de quitter un conjoint, surtout si on a des enfants… la vie est souvent plus simple après. Elle est plus douce, plus authentique. En tout cas, c’est ce que j’entends des personnes que j’interroge et c’est mon expérience. Ne plus se mentir, ne plus se cacher c’est une charge mentale en moins. Après, bien sûr, tout dépend des contextes… en fait, surtout, je crois que je l’écouterais ! Je la laisserais partager ses questions, ses doutes, ses peurs, ses élans. Et je serais là, pour elle.

Quels sont vos projets pour les mois à venir ? Des projets, j’en ai toujours beaucoup ! Évidemment, je vais continuer à faire vivre ce podcast qui a beaucoup de sens pour moi et qui me réjouit énormément et pour ça, je vais :
– Changer de logo. J’ai demandé à une graphiste (Hélène Lebrun) de retravailler la charte graphique du podcast : j’ai hâte !
– Proposer des épisodes hors séries. Le premier sera sur les violences dans les couples de femmes. Par la suite, j’en ferai probablement un sur l’association Contact qui accueille les parents.
– Interviewer plus de parents et ouvrir le podcast aux personnes assignées femmes.
–  Essayer d’augmenter la fréquence de mes publications
– Et pour terminer, j’aimerais être un peu présente sur les réseaux sociaux, je me dis que ça aiderait sûrement à faire connaître le podcast !

Rendez-vous sur le site d’Alice Le Guiffant pour découvrir les 30 premiers épisodes du podcast Coming in, coming out.

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