Un projet de loi interdisant les « thérapies » de conversion est actuellement en préparation en Pologne. Pour en savoir plus sur la situation des personnes LGBT dans le pays, Jeanne Magazine a rencontré Mirosława Makuchowska, qui a travaillé six ans aux côtés de KPH, la plus importante association LGBT polonaise, et qui est aujourd’hui engagée auprès des politiques pour faire avancer l’égalité des droits. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de mars de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous revenir sur vos premiers pas de militante ? Bien sûr, je les daterais en 2006 alors qu’une coalition de partis politiques homophobes et conservateurs commençait à prendre forme. A cette époque, le Ministre de l’éducation a essayé de faire voter une loi anti-propagande gay pour que tout débat autour des questions LGBT qui pourrait avoir lieu dans l’enceinte scolaire devienne illégal. Cette annonce a heureusement provoqué un tollé, la communauté LGBT et la société dans son ensemble se sont mobilisées pour organiser de nombreuses manifestations un peu partout dans le pays. J’ai participé à l’une d’entre elles avec mes amis et j’y ai rencontré des militants de Kampania Przeciw Homofobii. J’ai décidé de les rejoindre et de m’engager à leurs côtés pour travailler avec eux.

Pouvez-vous nous parler des débuts de l’ONG Kampania Przeciw Homofobii (KPH) ? Tout a commencé en 2001 grâce à Robert Biedroń, qui aujourd’hui travaille dans la politique. Il a récemment créé son parti politique, « The Spring », et compte présenter une liste aux prochaines élections européennes. Il a toujours été investi dans la vie politique et en 2001, son souhait était de créer une association qui permettrait une mise en lumière des questions relatives aux droits LGBT. (…)

La Pologne ne reconnaît ni le partenariat civil, ni le mariage entre personnes de même sexe… Les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle ne sont punies que dans certains contextes. Quelle est selon vous l’urgence aujourd’hui dans votre pays ? Je pense qu’il devient très urgent de changer la loi pour légaliser le partenariat civil. Quelle que soit la forme que cette évolution légale prendrait, j’aimerais que notre pays avance sur le partenariat civil ou bien le mariage entre personnes de même sexe. Cela fait des années qu’on milite dans les allées du Parlement pour que cette loi prenne forme. Il y a eu une discussion au Parlement en 2005 avec la mise en place d’un projet de loi par le parti démocratique et cela a même été assez loin dans le processus parlementaire mais tout a été arrêté à la mort de Jean-Paul II cette même année. Lorsque le Pape est mort, il était devenu une figure emblématique du pays (et l’est encore aujourd’hui), il est devenu impossible de faire passer cette loi. Beaucoup l’aurait pris comme une offense. Le parti démocratique, qui portait ce projet de loi, a alors expliqué l’abandonner et qu’il fallait considérer cela comme un cadeau au Pape, comme un héritage.

Pensez-vous qu’aujourd’hui les citoyens polonais seraient prêts à accueillir de nouveau ce projet de loi ? Les mentalités évoluent ici comme ailleurs et les récents sondages à ce sujet montrent que 55% des Polonais soutiennent le partenariat pour les couples de même sexe et environ 41% soutiennent le mariage entre personnes de même sexe.

Que faut-il alors faire pour que cette loi devienne réalité en Pologne aujourd’hui ? Il faudrait introduire un nouveau projet de loi au Parlement mais aujourd’hui c’est tout simplement impensable à cause du parti politique actuellement en place, le PiS, qui est extrêmement homophobe et conservateur. Mais nous avons de grands espoirs dans les mois à venir, surtout avec les prochaines élections parlementaires qui auront lieu à l’automne, qui permettront l’arrivée, je l’espère, d’un nouveau parti majoritaire et pourquoi pas celui de Robert Biedroń, dont je vous parlais précédemment. Et ça n’est pas un rêve inaccessible. Il a de plus en plus de soutien et peut aujourd’hui compter sur 12% des intentions de vote et lui, bien sûr, porterait ces lois en faveur de l’égalité des droits LGBT. (…)

Un projet de loi interdisant les « thérapies » de conversion est actuellement en préparation. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette initiative salutaire et malheureusement minoritaire en Europe (seul Malte a légalisé contre ces « thérapies » de conversion aujourd’hui) ? Pour revenir sur les débuts de ce projet de loi, cela fait 2 ans que nous travaillons sur ce sujet et tout a commencé à l’ONU à cette époque quand nous avons présenté les dérives dans notre pays des « thérapies » de conversion et des excès qui pouvaient avoir lieu. Ils nous ont bien sûr appuyés pour la création d’un projet de loi visant à les interdire en Pologne. Le parti politique The Modern, actuellement dans l’oposition, nous a demandé de l’aide pour rédiger et travailler sur ce projet de loi. (…)

En février, le maire de Varsovie est devenu un allié de la communauté LGBTI en signant la Déclaration LGBT+… Oui, et il n’est pas le premier homme politique polonais allié de la communauté LGBT. Je pense en l’occurence à Pawel Adamowicz, le maire de Gdansk, assassiné il y a 2 mois maintenant et qui soutenait publiquement la communauté LGBT dans ses combats, il participait par exemple aux Gay Prides organisées dans sa ville et avait travaillé de paire avec les associations LGBT de la ville pour ouvrir un Council of Equal Treatment à la mairie de Gdansk. Aujourd’hui on parle beaucoup de Rafał Trzaskowski, maire de Varsovie, car c’est la capitale de notre pays, comme un symbole sur l’ouverture. (…)

Comment diriez-vous que la société à évolué ces dernières années ? Ce qu’on peut dire c’est que ça n’a pas changé énormément. Par exemple aucune loi n’a été votée pour nous permettre d’avancer sur le chemin de l’égalité des droits. Mais en parallèle lorsque je repense à la façon et au langage plutôt grossier et négatif qui était utilisé dans les médias pour parler de la communauté LGBT, je vois que les choses ont évolué. A l’époque encore, il n’existait aucune personnalité publique qui était ouvertement LGBT alors qu’aujourd’hui c’est plutôt courant et ça n’est même plus trop un sujet d’actualité lorsqu’une personnalité fait son coming out. On dénombre ainsi plus d’une centaine de personnalités ouvertement LGBT aujourd’hui. La société commence petit à petit a accepter la communauté LGBT grâce à cette visibilité grandissante, mais il reste un long chemin à parcourir pour obtenir l’égalité des droits. Je pense que l’Union Européenne et l’ouverture de ses frontières y est pour beaucoup dans cette amélioration des mentalités, car soit la Pologne est partie prenante de cette Union à l’image des pays de l’Ouest comme la France et l’Allemagne, soit on finira comme la Russie et c’est un peu notre hantise ! Personne dans notre pays ne veut être considéré comme la Russie… Puisque nous voulons faire partie de l’Europe, alors nous savons qu’il faut qu’on avance, qu’on soit plus ouvert d’esprit, plus tolérant, plus divers et cette idée comparative marque énormément les esprits des Polonais.

kph.org.pl

Retrouvez l’intégralité de cette rencontre dans le numéro de mars de Jeanne MagazineEn vous abonnant à Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !