« Une révolution féministe lesbienne rend le monde meilleur pour tous, car elle remet radicalement en question les racines patriarcales de l’oppression de genre » Jeanne Magazine a rencontré Jacqueline Rhodes, la réalisatrice de Once a Fury, le documentaire qui retrace l’histoire de The Furies Collective, une communauté créée par un groupe de lesbiennes séparatistes il y a 50 ans à Washington D.C., et dont la maison a été reconnue comme le premier monument de l’histoire des lesbiennes de la capitale américaine et le premier site lesbien inscrit sur le Registre national des lieux historiques. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 82 de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Je suis universitaire et cinéaste lesbienne, professeure de rhétorique à l’Université de l’État de Michigan. Je suis l’autrice ou l’éditrice de six livres et projets multimodaux sur les intersections de la théorie queer, du féminisme, de la subjectivité et de la technologie.

Ces derniers mois, vous avez présenté dans de nombreux festivals Once a Fury. Un documentaire qui revient sur la brève et pourtant si riche histoire de The Furies Collective, l’un des premiers collectifs lesbiens des États-Unis. Pouvez-vous nous présenter ce documentaire et nous expliquer les raisons qui vous ont menée à créer ce projet autour de cette communauté lesbienne emblématique ? Ce documentaire se concentre sur un collectif lesbien qui se considérait comme l’avant-garde révolutionnaire du féminisme au début des années 1970. J’ai découvert leur journal en 1984, lorsque j’ai fait mon coming out pour la première fois. Le journal avait été publié 12 ans auparavant, mais il semblait toujours aussi puissant et pertinent. Des années plus tard, après mon premier livre (Radical Feminism, Writing, and Critical Agency, 2005), j’avais prévu d’écrire un livre sur les Furies et leur publication. J’ai fait beaucoup de recherches, mais finalement je ne l’ai jamais écrit. Au lieu de cela, comme la plupart des Furies sont encore en vie, j’ai décidé de les interviewer et de faire un film. Ce sont toutes des femmes fascinantes et de bonnes conteuses. Cette histoire féministe et militante est très importante et nous devons la préserver et la faire connaître. Ce documentaire, c’est mon travail d’amour pour ces mères de la révolution.

Dans le cadre de notre premier hors-série en papier, nous avons eu l’opportunité de rencontrer Joan Biren, membre de The Furies Collective, qui est revenue sur la richesse de cette période en termes de militantisme et surtout sur l’importance de s’ériger en tant que femme lesbienne. Après avoir rencontré 10 membres sur les 12 que comptait le collectif, que tirez-vous de ces moments passés avec elles ? Ces femmes sont toujours des militantes fortes, féroces et intelligentes. Elles n’ont pas arrêté d’œuvrer pour le changement social après la fin du collectif, elles l’ont simplement fait de différentes manières. Elles me montrent l’importance d’une vie consacrée à une grande idée, et la nécessité de rendre le monde plus juste pour tous. Une révolution féministe lesbienne rend le monde meilleur pour tous, car elle remet radicalement en question les racines patriarcales de l’oppression de genre. Lorsqu’elle est mise en conversation intersectionnelle avec des discussions sur d’autres oppressions, une telle révolution nous oriente vers une transformation radicale d’un système conçu pour exclure tous sauf les plus privilégiés. Cependant, les Furies m’ont aussi montré la difficulté de mettre l’idéologie en pratique. Il est difficile de « vivre » la théorie. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas essayer – simplement que nous devons être compréhensives les unes envers les autres dans nos tentatives.

Justement, comment expliquez-vous la brièveté de ce collectif ? Comment l’expliquent-elles  elles-mêmes ? Je pense qu’il est impossible de vivre une idéologie pure, et je pense que les Furies elles-mêmes seraient d’accord avec moi. Les Furies étaient intensément dévouées au développement et à la vie de leur idéologie féministe lesbienne, mais elles se critiquaient elles-mêmes et les unes envers les autres lorsqu’elles échouaient. Cela a conduit à des luttes intenses sur le leadership et les priorités du groupe. Cela dit, cela a duré aussi longtemps qu’il le fallait – l’expérience a lancé la plupart d’entre elles dans d’autres efforts militants.

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onceafury.com (découvrez ici la bande-annonce)| Retrouvez Jacqueline Rhodes sur son site internet : jacquelinerhodes.net

Retrouvez l’intégralité de cette rencontre dans le numéro #82 de Jeanne Magazine.

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Zoom sur The Furies Collective

En 1971, Rita Mae Brown, Charlotte Bunch, Ginny Berson, Sharon Deevey, Susan Hathaway, Helaine Harris, Coletta Reid, Nancy Myron, Tasha Petersen, Lee Schwing, Jennifer Woodul et Joan E. Biren ont décidé de construire leurs vies ensemble, loin des hommes, en créant The Furies Collective, une communauté lesbienne domiciliée au 219, 11e rue SE à Washington DC. Les douze femmes, âgées de dix-huit à vingt-huit ans, toutes féministes, toutes lesbiennes y partagent tout, y compris une grande chambre qui tient lieu de dortoir. Elles y créent également un atelier et invitent les femmes à venir y bricoler, pour gagner en indépendance et surtout, elles élaborent et l’explorent le féminisme, et en particulier la manière dont l’identité sexuelle est construite socialement. Le collectif, qui recommande aux séparatistes lesbiennes de se socialiser uniquement avec les femmes qui se désolidarisent du privilège masculin, édite également un journal, The Furies, diffusé dans tout le pays de janvier 1972 à mi-1973. Dans le premier numéro, sorti en janvier 1972, Charlotte Bunch, explique dans un article intitulé Lesbians in Revolt : « Tant que les femmes bénéficient de l’hétérosexualité, reçoivent ses avantages et sa sécurité, elles sont vouées à trahir leurs sœurs, en particulier leurs sœurs Lesbiennes qui n’ont pas reçu ces privilèges ». Ginny Berson explique dans ce même numéro : « les lesbiennes doivent devenir des féministes et lutter contre l’oppression des femmes, comme les féministes doivent devenir lesbiennes si elles souhaitent mettre fin à la suprématie masculine. » The Furies Collective se dissout au printemps 1972 mais l’expérience et les apports du groupe influencent des futurs groupes féministes à travers le pays. En 2016, la maison des Furies Collective a été reconnue comme le premier monument de l’histoire des lesbiennes de Washington DC, et le premier site lesbien inscrit sur le Registre national des lieux historiques.

(Photo Andi Biren, 1971 : The Furies Collective lors d’une soirée costumée au 2900 18th Street NW. Rang du haut : Rita Mae Brown, Sharon Deevey, Joan E. Biren, inconnue, Marilyn Webb (ne faisait pas partie des Furies) – Rang du milieu: Helaine Harris, Judy Winsett (ne faisait pas partie des Furies), inconnue, Jennifer Woodul – Rang du bas: Coletta Reid, Lee Schwing, Tasha Peterson.)

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