Shibuya, un arrondissement de la capitale japonaise a annoncé qu’il allait délivrer des certificats d’union aux couples homosexuels. Asako Makimura, écrivaine japonaise mariée à une française nous parle de la vie gay et lesbienne à Tokyo et revient sur cette initiative inédite, qui constitue un premier pas vers la reconnaissance des droits des homosexuels au Japon. Extrait de l’interview publiée dans le numéro de mars de Jeanne Magazine.

Un arrondissement de Tokyo vient d’annoncer son intention de délivrer un certificat d’union aux couples homosexuels. Que pensez-vous de cette reconnaissance symbolique ? Je dis « enfin ! ». C’est la première fois qu’une proposition politique concrète sur un contrat entre couples homosexuels est mise sur la table. Même si le projet n’est pas encore entériné, son annonce a donné du courage à beaucoup de gens. De nombreux japonais pensent encore que les mouvements pour l’égalité de la communauté homosexuelle n’existent que dans les sociétés occidentales. Par exemple, à propos des lesbiennes ou des gays japonais, on entend des choses comme « C’est à cause d’un séjour aux Etats-Unis ? » ou bien « Allez en France ! ». Mais là, ça montre que cette question concerne aussi le Japon, et c’est déjà un pas en avant significatif.

Cette initiative sans précédent émane des autorités du quartier de Shibuya, connu comme étant le siège de nombreuses jeunes entreprises, d’ambassades et de lieux branchés (commerces, bars, restaurants, lieux festifs). Comment se passe la vie gay et lesbienne à Tokyo ? A Tokyo, le quartier gay se situe dans le 2è district de Shinjuku (Shinjuku ni-chôme). Mais ce n’est pas aussi mixte ni ouvert que le Marais. Contrairement au quartier gay de Paris, on y voit rarement des familles ou des grand-mères faire une pause dans des cafés décorés de drapeaux aux couleurs de l’arc-en-ciel. Les gays et les lesbiennes sont encore considérés comme des gens « pas comme les autres », appartenant à un autre monde. Beaucoup de gens n’osent pas faire leur coming out. C’est encore assez fermé, même à l’intérieur de la communauté LGBT. Par exemple, il arrive que des MtF lesbiennes ne soient pas acceptées dans les soirées réservées aux filles. Il existe aussi des bars surnommés « bars à touristes (kankô-bar) », où viennent ceux qui veulent juste voir à quoi ressemble un homo. Pour beaucoup de Japonais, c’est encore vu comme une dimension parallèle.

Comment vit-on son homosexualité au Japon ? Je reçois beaucoup de messages de demandes de conseil par internet, et j’ai l’impression que, même si beaucoup n’osent pas encore déclarer leurs sentiments pour quelqu’un du même sexe, le nombre de personnes gênées par l’homosexualité elle-même diminue. Au Japon, on apprend à l’école qu’à l’adolescence, il est normal de ressentir de l’attirance pour le sexe opposé, et il est de notoriété publique qu’il est nécessaire d’obtenir un certificat de « trouble de l’identité sexuelle », considéré comme une maladie, avant de pouvoir faire une opération de changement de sexe. Du coup, beaucoup de gens pensent que s’ils aiment une personne du même sexe, ça veut dire qu’ils ont des troubles de l’identité sexuelle. Moi-même, je le croyais, et je me suis mise en tête qu’il fallait que je fasse des efforts pour devenir un homme, en portant des vêtements masculins ou en utilisant le vocabulaire typique des hommes en Japonais.

Y a-t-il eu d’autres coming out de personnes célèbres au Japon ? Plusieurs gays ont fait leur coming-out, comme par exemple le chanteur Akihiro Miwa, le dessinateur de manga Gengorô Tagame, le pasteur protestant Aika Taira, ou encore le maître d’ikebana Shôgo Kariyazaki, mais encore peu de lesbiennes. Il y a un siècle environ, la femme-écrivain Nobuko Yoshiya est devenue une célébrité pour ses nombreuses oeuvres sur les liens entre femmes, et pour avoir fait sa vie avec une femme.  Plus près de nous, les activistes LGBT Koyuki Higashi et Hiroko ont organisé leur cérémonie de mariage à Disneyland Tokyo en 2013, et la célèbre actrice DAN Mitsu a déclaré qu’elle est bisexuelle.

Qu’en est-il des personnages gays et lesbiens à la télévision japonaise ? Les Japonaises ont-elles été passionnées par la série The L Word ou plus récemment par Orange Is The New Black ? Il fut un temps où il n’était même pas possible de montrer des homosexuels à la télé. Maintenant, on essaie plutôt de construire une certaine image des homos. En particulier, les «efféminés» ont un certain succès dans les émissions de variété, à tel point qu’on demande souvent aux gays d’imiter leur façon de parler pour rigoler. Dans le passé, je me suis retrouvée avec des scripts d’émission TV avec des répliques comme « Les muscles des mecs, ça me dégoûte », et ma femme aurait été présentée comme « l’homme de la maison » si je n’avais pas demandé de modifier cette partie. Mais il y a aussi des émissions qui font attention à ne pas tout déformer. Pour ce qui est de The L Word ou Orange is The New Black, c’est plutôt réservé aux fans du genre. Ce n’est pas très très connu.

Les partis politiques japonais s’expriment-ils sur l’ouverture au mariage pour les couples homosexuels ? Y a-t-il des manifestations, des débats à ce sujet ? Il n’existe pas de système de mariage homosexuel au Japon. Ce n’est pas explicitement interdit. Le terme utilisé dans la constitution japonaise pour dire qu’il faut l’accord des « deux » (両性) pour se marier est vague. Ce mot peut vouloir dire « les deux sexes », dans le sens de l’homme et de la femme (sexes opposés), ou bien dans le sens qu’il faut impérativement l’accord des deux, et que ça ne dépend pas que d’un seul parti. A cause de cette ambiguïté, la formulation est sujette à débat. Lors des élections des conseillers de la Diète en 2013, les seuls partis qui se sont prononcés en faveur du mariage homosexuel sont le Parti communiste (PC), le Parti social-démocrate (PSD), et les Verts. Mizuho Fukushima, du   PSD, a d’ailleurs été à l’origine de la directive permettant aux Japonais d’obtenir les documents nécessaires à un mariage homosexuel à l’étranger. Côté associations, la EMA (Equal Marriage Alliance) japonaise milite pour l’acceptation du mariage homosexuel, et la Partnership Law Japan pour la mise en place d’un système ressemblant au PACS. Lors des LGBT prides à Tokyo, c’est l’occasion pour certains participants de donner de la voix pour le mariage homosexuel, mais il n’y a encore jamais eu de manifestation uniquement sur ce thème.

Parlez-nous des associations LGBT et des Gay Pride au Japon… Nous avons les associations SHIP, OCCUR, Re:Bit, QWRC, LGBT Families & Friends…  Et puis il y a des LGBT prides  à Tokyo, Osaka, Okinawa, et Nagoya. Il y en a aussi eu dans le Hokkaidô, à Kyôto, Kôbe ou encore Fukuoka. Cette année, si cela vous tente, vous pouvez participer à la Tokyo Rainbow Week, du  25/04 au 06/05 !

Ne vous contentez pas de cet extrait, et retrouvez l’interview en intégralité dans le numéro de mars de Jeanne Magazine, un bon moyen de soutenir votre magazine lesbien.