En 2001, lorsque l’ouverture au mariage pour les personnes de même sexe a enfin été légalisée aux Pays Bas, Patricia et Tineke ont été parmi les premiers couples lesbiens à se marier en Hollande. Aujourd’hui elles vivent à Groningue et sont les heureuses mamans de deux enfants. Elles nous racontent leur parcours. Extrait de l’interview publiée dans le numéro de février de Jeanne Magazine.

Patricia, comment avez-vous rencontré Tineke ? Nous nous sommes rencontrées chez des amis communs en 1992. Mon amie Liesbeth avait organisé une soirée pour fêter sa licence, et vous n’allez pas me croire, mais c’est moi qui lavais la vaisselle, et Tineke s’est proposée aussi. C’est comme ça qu’on s’est parlé la première fois ! Quand Liesbeth s’est mariée quelques mois plus tard, Tineke et moi avons échangé nos numéros de téléphone. À vrai dire, je n’y ai plus pensé jusqu’à ce que, encore quatre mois plus tard, je reçoive un coup de fil d’elle me proposant d’aller au cinéma. Elle avait demandé à plein d’autres gens, sans succès. C’est notre blague favorite depuis un ou deux ans : j’étais son deuxième, voire son troisième choix ce soir-là ! Nous sommes allées voir Les amants du Pont Neuf. En sortant du cinéma, nous sommes allées boire un verre, et je crois pouvoir dire que je l’ai tout de suite trouvée charmante. Ce sentiment fut partagé, apparemment… Nous nous sommes revues quelques fois, mais il n’a pas fallu très longtemps pour que nous décidions de nous installer ensemble. Nous ne nous sommes pas quittées depuis.

Votre femme Tineke et vous-même avez été l’un des premiers couples homosexuels à vous marier en Hollande. Et comme les Pays Bas sont l’un des premiers pays européens à avoir légalisé le mariage gay, vous rendez-vous compte que cela fait de vous l’une des plus anciennes unions homosexuelles officialisées ? Je suis extrêmement reconnaissante à tous ceux et celles qui se sont battu de toutes leurs forces pour la légalisation du mariage gay. Les associations et organisations comme le COC, mais aussi les personnalités politiques impliquées. Mais ce que je trouve encore plus crucial que le mariage gay, et là où il y a encore beaucoup à faire, c’est l’acceptation des personnes LGBT de par le monde. Pouvoir épouser quelqu’un est important, bien sûr, mais débarrassons-nous aussi de la haine, du mépris, des remarques mal intentionnées. Ça me met vraiment en colère quand j’entends des gens dire que si les lesbiennes peuvent se marier, alors pourquoi ne pas autoriser un mariage avec son chien… Ou bien que les gays et les lesbiennes ne peuvent pas élever les enfants convenablement. Je viens moi-même de parents hétérosexuels. Mon père a quitté la maison quand j’étais très jeune, et ma mère nous a élevés toute seule. Est-ce que mes enfants sont plus mal lotis en étant élevés par deux femmes ? Je ne le pense pas. Quand mon fils était petit, il aimait porter des robes à la maison, comme sa sœur. Et il voulait du vernis à ongles. Maintenant, il fabrique des objets en bois et adore manier le marteau ou la scie électrique. Nous bricolons souvent ensemble. Et il a déjà repeint sa chambre, avec l’aide de Tineke. Ma fille aime faire des gâteaux et nous apprend tous comment s’habiller à la dernière mode, et comment porter son écharpe de dix façons différentes. Ils savent tous deux préparer un bon repas. Autour de la table du petit déjeuner, nous parlons de plein de choses : la seconde guerre mondiale, l’esclavage, ou encore ce que c’est que d’être amoureux. Tineke va à l’église ; moi j’y vais quelquefois avec les enfants. Ma fille pense qu’il y existe une entité divine, quoique pas sous forme humaine, et mon fils est convaincu que Dieu n’existe pas. Nous faisons très attention d’enseigner des choses positives à nos enfants, et nous leur apprenons à respecter autrui et leurs croyances. Ayant dit tout ça, je pense avoir démontré que nous ne sommes pas différents de la plupart des autres familles ! Je voudrais que le monde devienne meilleur. Cela n’arrivera que quand plus de gens commenceront à penser comme ça eux aussi.

Racontez-nous le processus qui vous a conduites jusqu’au mariage. Diriez-vous que ça a été facile ? Du plus loin que je me souvienne, Tineke et moi avons toujours voulu nous marier. Nous suivions avec attention les avancées légales qui nous rapprochaient de cette possibilité. La loi était censée être effective le 1er janvier 2001 ; Tineke et moi avons planifié notre mariage pour le 2 mars 2001. Mais au cours de l’automne 2000, il s’est avéré que la « Tweede Kamer », l’équivalent de votre Assemblée Nationale, allait repousser le vote de la loi à après le 1er janvier. Étant donné les délais dans l’application des lois, cela signifiait que nous ne pourrions pas nous marier en mars comme prévu… Nous avons écrit des lettres et des e-mails à chacun de nos 150 députés, les enjoignant à ne pas repousser le débat. La plupart d’entre eux ne nous a pas répondu du tout ; certains nous ont envoyé une courte réponse qui ne nous apprenait rien. Seule une députée nous a donné une réponse honnête : il y avait tellement de lois à débattre que celle-ci n’était pas prioritaire. D’ailleurs, il n’y avait plus que quelques points de détail à discuter. D’un côté, c’était une bonne nouvelle, n’est-ce pas ? Mais d’un autre, notre cérémonie de mars ne serait pas officielle… Que faire alors ? Les invitations étaient lancées, le mariage organisé… Nous nous sommes rabattues sur le partenariat civil, un équivalent du PACS, qui bien sûr existait déjà à l’époque. Après tout, le plus important pour nous était bien de célébrer notre union avec nos proches. Quand le mariage a enfin été légalisé, le 1er avril 2001, nous avons pris notre contrat de PACS sous le bras et nous sommes présentées à la mairie pour le faire communier en mariage en bonne et due forme. Nous avons apporté le petit livret qui nous avait été délivré, et l’employé de mairie nous a dit qu’il allait juste remplacer la page « PACS » par la page « mariage », vite fait bien fait. Mais c’était compter sans Tineke, qui a fermement exigé un vrai livret de famille à la place de ce petit tour de passe-passe administratif. Il a bien été obligé de nous le donner ! Deux autres anecdotes à propos de ce jour-là : nous avions avec nous le photographe qui avait documenté notre partenariat civil un mois auparavant. La réceptionniste a demandé qui était ce monsieur, et nous avons répondu que c’était notre photographe privé. Mais la dame a compris qu’il travaillait pour Privé, un hebdomadaire à sensation comparable à Voici ou Closer. Le moins qu’on puisse dire est que personne dans cette mairie n’était préparé pour le premier mariage gai ce lundi-là ! Ce qui était idiot de leur part, en plus d´être dommage pour nous. Le premier mariage avait été célébré la veille à Amsterdam, où le maire avait officié devant toutes les télévisions du pays… Quand nous avons demandé quels étaient les frais d’enregistrement pour notre mariage, personne n’a su nous le dire ! Du coup, nous n’avons rien payé du tout.

Depuis, votre famille s’est agrandie et vous êtes mamans de deux beaux enfants. Comment cela s’est-il passé ? Nous avons commencé à discuter le sujet des enfants dès le début de notre relation. Étant donné mon histoire et le difficile divorce de mes parents, je dois dire que j’étais réticente, au début. Mais petit à petit, c’est devenu une évidence. Restait à trouver le comment. Nous avons réfléchi à ce qui serait le mieux pour l’enfant, et fait des recherches sur les solutions qui s’offraient à nous. Nous avons opté pour l’insémination artificielle, et décidé que je porterais ce premier enfant. Après plusieurs essais infructueux, le médecin allait nous lancer dans toute une batterie de tests médicaux dont je n’avais pas très envie. J’ai demandé à Tineke si elle voulait bien porter cet enfant, car il me semblait qu’elle désirait l’expérience de la maternité plus que moi. C’était la bonne formule. Tineke est tombée enceinte et a donné naissance à notre fille en 2003, puis à notre fils en 2006, et aujourd’hui nous sommes aux anges d’avoir de beaux enfants, joyeux et intelligents, qui nous donnent plein de joies et de soucis !

Propos recueillis par Sylviane Rebaud

Plus d’infos sur dodelijkbedrog.blogspot.nl / Photos Patricia Van Der Broek

Ne vous contentez pas de cet extrait et retrouvez l’interview en intégralité dans le numéro de février de Jeanne Magazine, un bon moyen de soutenir votre magazine lesbien.