Audrey Pulvar nous parle des femmes qui l’ont inspirée et dont elle brosse les portraits dans son livre Libres comme Elles. Elle nous explique le lien qui l’unit à toutes ces femmes, nous parle de liberté, de solitude, et de féminisme, forcément. Extraits de l’interview :

Libres comme Elles

Libres comme Elles – Editions de La Martinière

Pensez-vous que le féminisme est un combat qui peut revêtir plusieurs visages ? Oui, bien sûr. De toute façon, on voit bien aujourd’hui que les différentes associations ou grandes voix qui se réclament du féminisme n’ont pas toujours les mêmes diagnostics, ni les mêmes solutions à apporter. Oui, il peut y avoir plusieurs visages au féminisme, plusieurs façons de lutter. Certaines mobilisations me semblent parfois un peu dérisoires, d’autres pour lesquelles je trouve que l’on ne se mobilise pas assez… Par exemple, je soutiens totalement les Femen et la réappropriation de leur corps, mais je sais que de nombreuses femmes qui trouvent que c’est ridicule et que cela n’a pas lieu d’être. Ma position par rapport aux Femen, c’est que ce ne sont pas elles qui font de la pornographie ou de la provocation. La provocation c’est la façon dont le corps des femmes est soumis dans le monde dans lequel on vit. C’est-à-dire que souvent, les gens choqués par les Femen, sont ceux qui ne sont pas choqués par la façon dont le corps des femmes est utilisé dans la publicité, dans les films, dans des émissions de télé dans lequel les femmes peuvent être dénigrées. Cela fait partie d’un bruit de fond qui ne les choque pas, mais que des femmes, elles-mêmes, s’approprient leur corps et disent « voilà ce corps-là m’appartient, je m’en sers comme étendard », alors ça, ça les dérange. Et moi, j’ai plutôt tendance à penser l’inverse : il faut combattre la façon dont le corps des femmes est utilisé, soumis, exploité par le système dans lequel on vit. De ce fait, les femmes qui se réapproprient leur corps pour en faire l’outil qu’elles ont envie d’en faire, alors moi, ça me va !

Que pensez-vous des femmes qui considèrent ne pas avoir besoin du féminisme ? Dans votre livre, à propos d’Angela Davis et de Geneviève Fraisse, vous faites le parallèle suivant : « L’une et l’autre entendent faire de toute question liée à l’oppression dont sont encore victimes les femmes – et qu’elles perpétuent elles-mêmes parfois –, des questions politiques. ». Je pense qu’on a énormément besoin aujourd’hui du féminisme et de combats féministes. Le féminisme n’est pas une question de femmes, c’est une question de société qui concerne les femmes et les hommes. Vous m’entendrez souvent dire en interview que plus les femmes sont libres, plus les hommes le sont. C’est un peu le sens de mon avant-propos, quand vous assignez les femmes à une place, à un espace, à des prétentions et un rôle bien défini, comme c’est encore le cas dans notre société, il ne faut pas se faire d’illusions, et bien alors vous assignez les hommes à un rôle, à un espace… dont ils sont eux-mêmes les prisonniers. Alors oui, ils sont en position de domination, mais ils sont eux-mêmes prisonniers de ce déterminisme de dominance. Et comme je suis totalement persuadée que nous sommes tous égaux, que nous naissons égaux mais que nous devenons différents, car égalité ne signifiant pas être identique, nous sommes égaux en capacité, en droit, en ambition de réaliser sa vie, je considère alors que le féminisme n’est pas un combat pour les femmes, mais un combat pour une nouvelle société dans laquelle les femmes et les hommes seront plus libres. Aujourd’hui, comme je le dis dans l’avant-propos, nous n’avons pas d’autres choix que d’être des femmes et des hommes féministes, parce que c’est l’ensemble de la société que nous redéfinirons.

Nous avons assisté il y a peu à la descente de la manif pour tous dans les rues, que pensez-vous de la vision de la famille qu’elle véhicule ? C’est une vision totalement réductrice et passéiste. La famille qu’ils décrivent comme la famille idéale, je respecte leur vision, mais ça n’est plus du tout la famille majoritaire en France. Aujourd’hui il y a plus de naissances hors mariage que dans le mariage, et puis il y a évidemment beaucoup de formes de familles : entre les familles recomposées, monoparentales, homoparentales… il existe plusieurs possibilités de faire famille. Par exemple, j’élève seule ma fille, je considère qu’à nous deux, nous formons une famille. Je n’ai pas la sensation que notre famille soit moins valable que celle où il y a un papa, une maman et deux enfants.

Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui, une partie des Français soit si réfractaire à toutes ces notions d’égalité et de liberté ? Nous sommes dans un pays très conservateur. On a encore en tête mai 68, les mouvements libertaires et d’autres, mais tout ça, c’est fini ! Aujourd’hui, on vit dans une société qui est hyper conservatrice et qui est en plus, presque l’otage à certain moment du conservatisme. Le conservatisme s’est renouvelé et c’est aussi pour ça que les combats féministes restent d’actualité, parce que quand on n’avance pas dans ces combats, on recule. Et les conservateurs ne cessent de se battre et donc ne cessent d’avancer. C’est une tectonique des plaques permanente, entre progressistes et conservateurs. Evidemment, que le conservatisme prend aujourd’hui de nouvelles formes, il se nourrit des nouveaux moyens de communication, notamment des réseaux sociaux, les mobilisations sont plus fortes, plus bruyantes, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il l’emporte dans l’ensemble de la société.

A lire dans le numéro de novembre de Jeanne Magazine, l’interview sur 6 pages d’Audrey Pulvar. Photo Augustin Detienne