Sarah Green, la petite-fille d’Anita Bryant, est sur le point de se marier avec une autre femme. Pour rappel, Anita Bryant a organisé l’une des premières grandes campagnes anti-LGBT des Etats-Unis au milieu des années 70. La jeune femme explique dans le podcast  One Year de Slate qu’elle ne sait pas si elle devait inviter sa grand-mère à la cérémonie puisque l’activiste homophobe, aujourd’hui âgée de 81 ans, lui a dit que l’homosexualité n’existait pas et qu’elle prie toujours pour que sa petite-fille trouve un mari.

« Il est très difficile de discuter avec quelqu’un qui pense qu’une partie intégrante de votre identité n’est qu’une illusion diabolique. Elle veut une relation avec une personne qui n’existe pas parce que je ne suis pas la personne qu’elle veut que je sois » confie également Sarah Green dans le podcast animé par Josh Levin qui se concentre sur 1977. Année où Anita Bryant et sa coalition conservatrice Save Our Children remportent à Miami un référendum qui a pour objectif de faire abroger la première ordonnance américaine à reconnaître aux homosexuels l’égalité des droits. Pour en savoir plus, (re) découvrez La croisade anti-homo d’Anita Bryant, notre article publiée dans le premier hors-série en papier de Jeanne Magazine.
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8 ans après les émeutes de Stonewall, Anita Bryant a lancé, avec son organisation Save Our Chidren, une véritable croisade anti-homosexuel aux Etats-Unis, qui va être le catalyseur de l’émergence d’une communauté LGBT fière et forte.

Le 7 décembre 1976, Ruth Shack, conseillère du comté de Dade en Floride, présente un projet de loi interdisant la discrimination à l’embauche, au logement et à l’accès aux services publics des personnes homosexuelles. L’ordonnance 77-4, adoptée le 18 janvier suivant, soulève la colère des communautés religieuses locales, et la fureur de l’Église baptiste, à laquelle appartiennent Robert Green et son épouse, la chanteuse Anita Bryant. Cette ex-reine de beauté de l’Oklahoma, a déjà réalisé son rêve américain : après avoir chanté enfant dans son état natal de la Bible Belt et connu la pauvreté, elle a vendu un de ses disques à plus d’un million d’exemplaires, interprété The Battle Hymn of the Republic lors des obsèques de Lyndon Johnson en 1973, et elle est devenue porte-parole et égérie du jus d’orange de Floride. À 37 ans, celle qui chante aussi dans les réclames pour Coca Cola, Hollyday Inn et Tupperware, va s’investir d’une mission : fonder Save Our Children, une coalition conservatrice homophobe, qui a pour objectif de faire abroger la première ordonnance américaine à reconnaître aux homosexuels l’égalité des droits. Et devenir ainsi le cauchemar des 20 millions de gays et lesbiennes qui vivent aux Etats-Unis. Avec pour slogan : « Tuer un homosexuel pour l’amour du Christ », Save Our Children collecte plus de signatures qu’il n’en faut et les dons nécessaires pour organiser un referendum local, et mener une campagne de haine, qui sera très médiatisée, au cours de laquelle Anita Bryant lance à « la majorité normale » : « Si l’homosexualité était la voie normale, Dieu aurait créé Adam et Bruce », et en associant l’homosexualité à la pédophilie et à la zoophilie dans ses meeting : « Si on donne des droits aux gays, il faudra ensuite donner des droits aux prostituées, à ceux qui couchent avec des saint-bernards et à ceux qui se rongent les ongles ».

La communauté LGBT de Miami ne parvient pas à s’organiser face aux attaques de Save Our Chidren, qui remporte une large victoire au référendum organisé le 7 juin 1977. Fort de ce succès, Anita Bryant poursuit alors sa croisade, d’abord en Floride où elle obtient la première interdiction de l’adoption par les gays et les lesbiennes, puis dans tout les Etats-Unis. Les conservateurs, soutenus par Anita Bryant et Save Our Children font supprimer des lois anti-discrimination dans le Minnesota, l’Oregon et le Kansas. En Californie, Anita Bryant inspire le sénateur John V. Briggs, pour sa proposition 6, qui visait à interdire les membres de la communauté homosexuelle dans le monde de l’enseignement, proposition qui sera notamment combattue par le conseiller municipal de San Francisco, Harvey Milk,

Ce mouvement anti-homosexuel qui mobilise les Conservateurs et les Chrétiens est à l’origine de nombreux suicides et d’agressions homophobes dans le pays, mais, dans le même temps, il contribue à la naissance de la longue lutte pour l’égalité des droits des personnes LGBT, qui, pour la première fois, s’unissent pour s’organiser.

A New York, la nuit suivant le résultat du référendum, Bella Abzug, la militante féministe qui a présenté le premier projet de loi fédéral sur les droits des homosexuels devant le Congrès en 1974, connue sous le nom de loi sur l’égalité, est réveillée en sursaut par une centaine d’homosexuels qui scande son nom sous sa fenêtre. Face à la foule, « Battling Bella », c’est son surnom, prédit que cette victoire de Save Our Children va permettre au mouvement homosexuel de se développer. Et elle a vu juste : à 4000 kilomètres de là, au même moment, 3 000 gays et lesbiennes se réunissent spontanément dans le quartier gay de Castro à San Fransisco en clamant : « Nous sommes vos enfants ! ». Harvey Milk, prend la tête de la marche et galvanise la foule en déclarant à son tour : « Voilà le pouvoir de la communauté gay. Anita va créer une force gay nationale ». Le lendemain, Jean O’Leary et Bruce Voeller de la National Gay and Lesbian Task Force, créées en 1973, expliquent eux aussi qu’Anita Bryant, qui bénéficie d’une large couverture médiatique à travers le pays, est en train de faire « une énorme faveur » à la communauté homosexuelle, en mettant la lumière, bien malgré elle, sur les discriminations subies par les personnes LGBT.

Fred Fejes, explique en 2008 dans son livre Gay Rights and Moral Panic : The Origins of America’s Debate on Homosexuality : « Alors que les émeutes de Stonewall de 1969 ont probablement marqué le début du mouvement gay et lesbien moderne, les campagnes de 1977 et de 1978 ont permis l’émergence d’une communauté gay et lesbienne à la fois consciente d’elle-même et de son poids politique national ». Ainsi, dans les semaines qui suivent l’abrogation de l’ordonnance anti-discrimination dans le comté de Dade, les villes de Fort Lauderdale, Gainesville, Palm Beach et Austin rejettent des projets de lois destinés à interdire les discriminations basées sur l’orientation sexuelle. La mobilisation se met en place dans d’autres régions plus libérales, où des militants présentent des ordonnances en faveur des droits LGBT. Et les Gay Prides organisées en 1977 battent des record de fréquentation : la San Francisco Gay Freedom Day Parade regroupe 250 000 personnes, du jamais vu pour un rassemblement homosexuel. Des milliers de participants défilent à Seattle, Boston, Cleveland et Atlanta, et à New York, on marche sous le mot d’ordre « Pas d’autres Miami ».

Ailleurs dans le monde, la communauté LGBT s’organise : aux Pays-Bas, plus de 300 personnes manifestent devant l’ambassade des États-Unis pour demander au gouvernement américain de protéger les libertés individuelles de leurs citoyens. Des manifestations sont également organisées au Royaume-Uni, en Espagne et en France. À Paris, la toute première Marche des fiertés LGBT est ainsi organisée le 25 juin 1977 suite à l’appel du Mouvement de libération des femmes, et l’année suivante à Toronto, la participation d’Anita Bryant à un spectacle religieux entraîne les militants LGBT à organiser la plus grande manifestation homosexuelle de l’histoire du Canada.

En 2007, trente ans après la campagne, le directeur de Days Without Sunshine, l’exposition consacrée à la campagne de Save Our Children, organisée à Fort Lauderdale en Floride, explique qu’Anita Bryant, est « la meilleure chose qui soit arrivée au mouvement pour les droits des homosexuels. Elle et ceux qui la suivaient étaient si extrémistes qu’ils ont complètement galvanisé le mouvement homosexuel. ».

Photo: C.Dobie

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