A l’occasion de la sortie de Confession d’une ex-Femen, Eloïse Bouton, la première française à avoir rejoint le mouvement, revient sur son parcours d’activiste, de sa première action lors des JO de Londres en juillet 2012 à son départ en février 2014. Elle nous parle aussi de l’action menée lors de la manifestation de l’institut Civitas contre le Mariage pour Tous, et de celle dans l’église de la Madeleine, le 20 décembre 2013… Extrait de l’interview publiée dans le numéro de mars de Jeanne Magazine.

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Pourquoi et comment avez-vous rejoint le mouvement Femen ? J’ai découvert Femen en octobre 2011, lors de leur action devant le domicile parisien de Dominique Strauss-Kahn place des Vosges. Leur performance m’a séduite par son irrévérence et son côté à la fois provocant et courageux. Mais j’ai aussi été attirée par la dimension théâtrale et populaire, qui plaçait le féminisme dans la rue, le rendant accessible à toutes et tous. Enfin, le fait de détourner la nudité, traditionnel outil du patriarcat ou du capitalisme, pour se la réapproprier et véhiculer un message émancipatoire, d’utiliser sa poitrine nue comme porte-voix et étendard politique m’a semblé très pertinent. A mes yeux, le corps des femmes demeure le lieu privilégié de toutes les violences sexistes : marchandisation, viol, injonctions à la minceur, commentaires… J’ai contacté les Femen ukrainiennes via leur page Facebook en mai 2012 et souhaitais d’abord leur proposer une aide logistique (des traductions principalement) sans forcément songer à devenir activiste. Elles m’ont appris qu’une branche française, animée par Safia Lebdi (ex Ni Putes Ni Soumises) était en train de se monter à Paris. J’ai contacté Safia et ai rencontré Inna Shevchenko, Sasha Shevchenko et Anna Hutsol (la fondatrice de Femen) chez elle à plusieurs reprises. Convaincue par leur discours, j’ai décidé de participer à ma première action aux Jeux Olympiques de Londres en juillet 2012.

Confession d'une ex-Femen

Confession d’une ex-Femen

Confession d’une ex-Femen, établit sans rancœur et avec votre objectivité  les problèmes internes au sein du mouvement : problème de hiérarchie, climat de paranoïa permanent, omniprésence de l’image… quelles seraient d’après-vous les mesures à prendre pour que le mouvement se pérennise ? Je leur souhaite de se remettre en question pour ne pas éternellement se heurter aux mêmes écueils, d’accueillir certaines critiques avec diplomatie, de retrouver cette légèreté et cet esprit caustique qui me plaisaient tant. Leur dernière action contre DSK à Lille était parfaite à mes yeux, très claire, drôle et percutante. De plus, elles étaient les seules féministes à agir sur le sujet, ce qui est assez étonnant. J’espère qu’elles vont continuer dans cette direction.

Au fur et à mesure des actions, on comprend qu’une certaine habitude se met en place « de toute façon, personne ne va comprendre notre message, comme d’habitude » et vous ajoutez qu’après les actions, viendra « l’arrestation comme d’habitude »… Je pense que j’ai éprouvé une certaine lassitude à partir de Notre-Dame en mars 2013. La fréquence des actions et l’absence de recul, de communication en interne ou de remise en question ont commencé à me peser, même si je ne me le formulais pas de cette manière à l’époque. Le fait d’ignorer toutes les critiques et de ne jamais démentir les rumeurs m’a aussi progressivement éreintée et surtout décontenancée. Je ne comprenais pas pourquoi le silence demeurait le maître mot alors qu’un simple tweet aurait parfois suffi à mettre fin aux pires fantasmes. Est-ce une stratégie ? Une manière d’entretenir un mystère autour du mouvement ? Je ne le sais toujours pas aujourd’hui.

Il semble très compliqué d’arriver à concilier au quotidien vie personnelle, vie professionnelle et engagement militant. Comment l’envisagiez-vous à l’époque et aujourd’hui, que vous ne faîtes plus partie du mouvement ? C’est en effet un gros problème ! Je trouve cela très français, le fait de coller une « mono-étiquette » aux gens et de voir la polyvalence d’un mauvais œil. A partir du moment où j’ai milité chez Femen, je me suis retrouvée réduite à ça. On me disait « tu ES Femen », alors que je FAISAIS Femen, mais aussi plein d’autres choses. Dans mon travail de journaliste, certaines personnes considèrent que le féminisme est une opinion, alors que c’est juste une vision du monde. Souvent, on a peur que je ne sache pas faire la part des choses, et parce que je suis féministe, que je traite des sujets de manière orientée ou partisane. Pourtant, il existe des hommes journalistes qui se revendiquent de gauche ou de droite et qui sont éditorialistes et spécialisés sur ces questions, mais ça n’a pas l’air d’être un problème dans ce cas, au contraire c’est un atout. On me serine aussi avec la sacro-sainte objectivité du journaliste. Mais l’objectivité n’existe pas. En tant que journaliste pigiste, le simple fait de proposer certains sujets est subjectif. Ce qu’on considère objectif est le point de vue des hommes blancs hétérosexuels de plus de cinquante ans. Dès que l’on propose un point de vue différent, on est orienté et on fait mal son travail. Je trouve cela très regrettable parce que l’on se prive d’une diversité d’opinions et que l’on reste engoncé dans un mode de pensée binaire où tu es objectif ou tu ne l’es pas, tu es Charlie ou tu ne l’es pas, tu es militante ou tu es journaliste.

Pouvez-vous revenir en quelques mots sur l’action menée pendant la manifestation de Civitas, vous attendiez-vous à une telle violence ? En novembre 2012, nous avons décidé de mener une action lors de la manifestation de l’institut Civitas contre le Mariage pour Tous. Nous savions que plusieurs d’extrême droite tels que le Groupe union défense (GUD) et les Jeunesses nationalistes avaient prévu de se joindre au cortège, mais sans vraiment mesurer l’ampleur du danger. Déguisées en nonnes « coquine », nous nous sommes immiscées dans la manifestation en scandant « In Gay We Trust », et munies d’extincteurs domestiques achetés au BHV recouverts des slogans « Jesus Sperm » et « Holy Sperm ». En quelques secondes, tout le monde s’est jeté sur nous et nous a tabassées. Nous avons réussi à nous enfuir et à nous réfugier derrière un cordon de CRS qui protégeait une contre manif LGBT.  Bilan : des dents cassées, des gros hématomes et des ITT pour chacune d’entre nous. La fachosphère s’est déchaînée sur les réseaux sociaux (insultes, menaces de mort…). J’ai été accusée d’être escort girl et toutes mes données personnelles ont été mises en ligne. On m’appelait sur mon téléphone fixe pour me traiter de « pute » et de « salope », on sonnait à mon interphone la nuit pour me demander « combien je prenais pour me faire défoncer », c’était l’horreur. Je ne pouvais évidemment pas m’attendre à un tel déferlement de violences, mais surtout à ce que ces personnes puissent agir en toute impunité. J’ai porté plainte pour certaines menaces mais n’ai jamais eu de nouvelles.

Quelles sont les plus grandes leçons apprises durant cette période ? J’ai compris que le militantisme collectif n’était pas pour moi et que j’étais beaucoup plus libre et épanouie sans étiquette. J’ai aussi appris à me préserver et à ne plus laisser mon engagement m’engloutir, au détriment de toutes les choses positives que je peux construire en parallèle dans ma vie. Car cette indépendance est aussi féministe.

Confession d’une ex-Femen d’Eloïse Bouton (Les éditions du Moment).