« Etre libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est aussi vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. »

 

Trans FTM et prof depuis plus de 20 ans, Kasper vit depuis 6 ans avec sa compagne. Dans l’interview qu’il nous a accordé en 2014 dans le numéro 9 de Jeanne Magazine, Kasper nous livre son parcours, de son enfance à la procédure de changement d’Etat civil qu’il a engagée, en passant par sa décision de transitionner prise en 2013…

Qui êtes-vous et d’où venez-vous ? Je m’appelle Kasper, Zoltan, Camille P. Je suis Trans FTM et prof depuis plus de 20 ans dans le même établissement de province. Je vis depuis 6 ans avec ma compagne actuelle et nous sommes parents d’un enfant de 3 ans né d’une PMA en Belgique alors que nous vivions en couple dit «lesbien». J’ai toujours su que je n’étais pas «une fille comme les autres»… Dès tout petit, j’arrachais mes robes. Je ne tolérais mes cheveux longs d’enfant que parce que je savais être un «enfant sauvage», un «indien»… J’ai passé toute ma vie d’avant en Butch, vivant sur scène mon ultime masculinité en tant que Dragking… Mes lectures, et beaucoup de fabuleuses rencontres: Del La Grace Volcano, Diane Torr, B. Preciado, Virginie Despentes, Les Kisses cause Trouble, Goddes and She, Kael, Kay, Laszlo Pearlman, Infidèle Castra et tant d’autres, ont nourri ma vision du genre, des genres, et m’ont ouvert les yeux il y a bien longtemps. Mais mes choix de vie, ma santé, mon désir d’enfant, et mes amours ont fait que j’ai pris la décision de transitionner très tard. J’ai donc, comme dit un ami, «été élevé chez les Louves», avec une culture empreinte de Féminisme et de pensée Queer, des codes qui me faisait dire: «Oui, je suis gouine, et je t’emmerde!»… Mais riche de tout mon passé, je sais enfin qui je suis, désormais et que les genres ne sont pas, ne peuvent définitivement pas, être binaires. Je me suis donné cette chance.

Vous êtes née femme et êtes en train de transitionner. Qu’est-ce qui vous a amené à prendre cette décision ? Y a-t-il eu un moment particulier où vous avez pris conscience de cette nécessité ? Quand avez-vous entrepris la procédure, et en quoi a-t-elle consisté pour vous ? J’ai décidé de transitionner le 6 janvier 2013. Je connaissais déjà une bonne partie des modalités. Il était évident que je ferais mon parcours en privé. Pas question de perdre de temps ni qu’on m’impose mes médecins et chirurgiens. Quitte à ne pas être pris en charge, bien qu’ayant obtenu L’ALD. En quelques semaines, conseillé par d’autres Trans, et parfois au hasard, j’ai trouvé un psychiatre et un endocrinologue. Ils m’ont reçu, m’ont écouté. Fin mars je débutais la Testostérone (une injection intramusculaire toutes les trois semaines que j’exécute seul désormais et que je devrai prendre jusqu’a la fin de mes jours, seule hormone présente dans mon corps) et j’ai été opéré (hystérectomie totale et mastectomie) dans les 8 mois qui ont suivi. Ma procédure de changement d’Etat Civil est en cours. La Testostérone m’a fait vivre une deuxième adolescence. Celle d’un ado garçon… et en accéléré délirant! Dès les premiers mois, j’ai mué, la sexualité a pris beaucoup de place dans mon esprit, ma pilosité s’est développée, les graisses de mon corps ont migré; l’implantation de mes cheveux a changé, mes muscles ont commencé à changer aussi, ainsi que la forme de ma mâchoire et de mes arcades sourcilières; ma barbe a commencé à pousser sous le cou, puis sur le menton, puis des pattes sont apparues le longs de mes joues… Même mes pieds ont changé de forme! Et ma pomme d’Adam commence à ressortir…

Diriez-vous que votre transition est achevée ? Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Mon corps va continuer de changer un peu encore pendant les années qui viennent, même si ma masculinisation est déjà très avancée. Mais vieillir est aussi une forme de transition, non? Je me sens très bien, mieux que jamais. Et je me reconnais enfin, dans cette image encore mouvante. Comment faire comprendre aux autres ce que j’ai ressenti? Avoir été étranger dans ma propre enveloppe corporelle pendant si longtemps. L’avoir toléré. Jusqu’à l’intolérable. Se regarder un matin dans le miroir et ne pas accepter de poursuivre l’aventure dans ce corps là, dans ce genre là. Se réveiller en sursaut, très brutalement. Dans l’urgence. Dans l’irrévocable. Dans le «plus jamais ça!!!». Dire «Stop!». J’ai alors décidé de mettre définitivement en cohérence mon physique et mon identité de genre. Le plus vite possible. On ne subit pas toutes ces opérations et tous ces bouleversements par plaisir ou par hasard. Que ce soit dit : Je me construis. Je l’ai fait pour rétablir l’ordre dans un corps désordonné, chaotique. Mon corps est désormais un chaos organisé, avec son harmonie propre, qui se cherche encore un tout petit peu dans l’attente des prochains muscles et des prochains poils, dans l’attente de cette lourdeur douce qui dessine de plus en plus mon menton, mes arcades… Ces lignes sont autant de soutènements, d’arcs-boutants, qui m’aident et me soutiennent. Je m’expanse doucement vers l’extérieur et cette expansion est le signe de mon appartenance au Règne Animal, de mon appartenance à celles et ceux dont les cellules se multiplient pour former des organes, des muscles, des tendons, des os, des connexions électriques capables de renouveler un être vivant. Je me sens effectivement extraordinairement vivant, dans cette transmutation qui me rappelle chaque jour aux règles de création de la vie. J’apporte ma pierre à mon modeste édifice. Je ne suis pas le résultat d’une somme de deux êtres, de leurs gènes et de tous ceux qui les ont précédés. Pas «que»… Je tisse de nouvelles cellules. L’alchimie de la T. accomplit des miracles, déjouant les lois du genre, elle impose à mon corps de fabriquer ce pour quoi il n’était pas programmé. Elle change tous les regards qui se posent sur moi, amenant plus de douceur, plus de vérité dans mon rapport aux autres, révélant au monde ma nouvelle identité bien avant que la loi des Hommes et leurs tribunaux ne se soient prononcés. J’ai accepté tout mon passé et mes quêtes vaines, mes bonheurs et mes erreurs. Je remercie toutes les rencontres et les hasards qui m’ont fait le cadeau de moi-même. Je renais, apaisé. Je deviens. Je continue d’aller vers où je suis. Je n’y suis pas encore tout à fait… (merci, Claude Cahun!).

A quel moment avez-vous changé de prénom ? Pourquoi « Kasper » ? Quel est votre identité actuelle pour l’état civil ? Le jour où j’ai pris cette décision, j’ai choisi mon prénom. Je voulais qu’il ne me fasse penser à personne que je connaisse, qu’il ait une sonorité bien masculine. Dans la série Danoise Borgen que nous adorons, il y avait un personnage qui s’appelait Kasper. Je précise que cela se prononce «casse-peur!». Le donneur qui nous a permis d’être parents est Danois. J’y ai vu une forme d’hommage. Et ma compagne l’a adopté immédiatement, me disant qu’il m’allait bien. Elle a choisi mon second prénom, mes parents le troisième, en hommage à l’oncle préféré de mon père, qui était son modèle. J’y vois une belle transmission. A ce jour, mes papiers ne sont, hélas, pas encore changés. C’est une affaire de mois, mais il y a urgence pour plein de raisons…

Comment votre famille a-t-elle accueilli cette décision ? J’avais très peur de ces annonces à faire ; je les ai retardées jusqu’à ma troisième prise de T., soit 4 mois après ma prise de décision. Ma mère m’a dit: «Je m’en doutais», mon père: «C’est ta vie». Tout le monde a pris acte simplement, même les personnes les plus âgées.
J’explique peu les choses. Je les affirme. On me regarde et on me croit.

Comment cela s’est-il passé dans votre milieu professionnel, celui de l’éducation ? Vous enseignez en Lycée et, plutôt que de demander une mutation par exemple, vous avez pris la courageuse décision de rester sur place après votre transition. Vous étiez connue comme Madame P. et au retour des vacances d’été, vous étiez devenu Monsieur P. Votre démarche a-t-elle été comprise ? Y a-t-il eu des passages difficiles avec les élèves ou leurs parents ? J’ai fait ce choix parce que je sentais qu’il me conviendrait, que j’aurais la force de faire face aux regards… de 1800 élèves et étudiants, et 250 membres du personnel. Ce sont aussi mes étudiant qui m’ont conforté quand au 4eme mois de T., alors que ma voix se cassait souvent en cours car je muais, j’ai donné rendez-vous à quatre étudiantes de première année que je retrouverai en deuxième année, pour leur parler de ma décision et «tâter le terrain». Toutes les quatre se sont montrées hyper ouvertes et rassurantes: «C’est super courageux, nous on veut juste que personne ne dise de mal sur vous, etc…». Je leur ai juste fait promettre de ne pas en parler au reste de la classe jusqu’en septembre et j’ai annoncé ça en quelques mots à la rentrée, lors de la distribution de l’emploi du temps avec la prof Principale… Après trois secondes de bouche bée pour certains et des échanges de regards… Ils avaient tous compris. Certains ont mis plus de temps que d’autres à ne plus se tromper en m’appelant, par habitude, mais tous se reprenaient en s’excusant et tout se passa sans heurts. Je crois même qu’ils étaient un peu «fiers» de vivre ce rapport un peu hors du commun. Plusieurs fois, cette année, deux ou trois vinrent me voir pour me dire en gros: «Ben ça vous va quand même drôlement mieux!!!». Adorables, je vous dis!… En juin 2013, quelques jours après les quatre jeunes, je rencontrais ma Proviseure. Elle me dit alors les mots que j’attendais: «Que puis-je faire pour que tout se passe le mieux possible ici?». Je lui ai expliqué, tout en lui remettant un petit dossier sur la transidentité que j’avais imprimé pour elle, que j’avais déjà informé progressivement une cinquantaine de collègues et que je souhaitais qu’elle informe tous les Agents et le personnel administratif, le bouche à oreille ferait le reste…Et que je souhaitais que dès septembre, même si mon physique ne serait sans doute pas encore très abouti, je souhaitais que tout le Lycée m’appelle Monsieur et que mon nouveau prénom apparaisse partout à la place de l’ancien. Ce qui fut fait. Je n’ai subi aucune remarque désobligeante et même si, forcément, cela a déstabilisé voire dérangé certaines personnes, je n’ai jamais eu à en pâtir. Mon physique actuel est typiquement masculin et je pense que j’ai gagné la partie. Je fais du sport le vendredi soir avec mes collègues garçons et nous partageons le même vestiaire. Juste de petits flottements quand les mecs à qui je faisais la bise hésitent maintenant entre la bise et le serrage de main, selon notre degré d’intimité…

Vous êtes en couple avec S., votre compagne, depuis de nombreuses années. Comment votre transidentité a-t-elle affecté votre relation ? Le changement s’est fait de façon très naturelle, et ma compagne m’a suivi dans l’aventure avec totale confiance. Cela a renforcé notre couple. L’approche de nos corps se fait différemment, mais en harmonie.

Quel est aujourd’hui le statut de votre famille ? Diriez-vous que vous êtes maintenant un couple hétérosexuel ? Comment êtes-vous perçus, et cela correspond-il à la façon dont vous souhaiteriez être perçus ? Notre famille n’a pas aujourd’hui de cadre légal si ce n’est que j’ai déclaré la naissance de notre fils en mairie sous mon identité féminine et que je pourrai ENFIN le reconnaître quand j’aurai mes nouveaux papiers… J’ai obtenu l’Autorité Parentale Partagée devant un Juge aux Affaires Familiales, dans le cadre de notre couple alors «lesbien» et ma compagne a rédigé un testament devant Notaire pour que notre fils reste auprès de moi en cas de décès. Mais mes droits face à ma belle-famille, qui ne reconnait pas la nôtre, deviendraient une lutte d’avocat à avocat… Sans garantie pour nous. D’où mon angoisse et ma hâte d’obtenir mon Changement d’Etat Civil. En France, cela prend encore des mois, nous oblige à être stérilisés (hé oui!!!!), à payer de lourds frais d’avocat, alors que nos dossiers sont souvent sans appel. Et parfois, encore, dans certains départements, on oblige les Trans à subir d’humiliantes expertises dignes d’un pays totalitaire…. Dans d’autres pays, cela se fait sur simple demande, en quelques semaines. Nous avons toutes les apparences d’un couple hétérosexuel et sommes partout perçus comme tels, mais nous n’en sommes pas un!! Nous refusons de définir la sexualité comme binaire et refusons de rentrer dans quelque case que ce soit. Par contre, nous ne boudons pas notre plaisir et notre amusement quand très souvent, on nous dit (sans nous connaître) que nous avons réussi un fils magnifique et qui nous ressemble énormément à tous les deux ! Cette ambigüité nous va. Nous sommes juste une famille.

Le traitement hormonal a-t-il eu une influence sur votre personnalité ? Selon vous ? Selon votre entourage ? Je suis devenu globalement serein et moins timide, et j’ai plus confiance en moi, mais je suis aussi sujet à plus de sautes d’humeur selon le taux de Testo dans mon organisme. Je suis moins patient. Je suis devenu plus intransigeant et je sais de mieux en mieux dire «non!» et me révolter ouvertement contre les injustices.

Votre petit garçon a 3 ans. Qu’a-t-il compris de ce qui se passait ? Quelle a été sa réaction ? Il nous voit vivre au quotidien, il est venu à l’hôpital à chaque opération, il voit mon corps muter. Je réponds à chaque question très simplement. Pour lui, depuis le jour où je lui ai demandé s’il voulait que je sois son papa quand il avait un an et qu’il m’a dit «oui!», je suis «papa». Point. Je ne lui cacherai jamais rien. Les photos où il porte un body « I love my mummies » trônent dans la salle-à-manger. Nous lui apprendrons juste à qui parler de certaines choses, ou pas…

Que diriez-vous à quelqu’un qui pense transitionner pour l’aider à mieux se préparer ? Avez-vous des lectures à conseiller ? Transitionner demande beaucoup d’énergie, de volonté, de courage et pas mal de moyens si on veut être libre de choisir ses médecins. Il est important de demander conseil à ceux qui sont déjà passés par là pour faire les bons choix pour soi-même. Car, malgré tout, chaque transition est unique et s’inscrit dans un parcours qui l’est aussi… Mais des étapes imposées demeurent. On peut par exemple:
– Se rendre sur Internet sur le « forum vert: ftm.transsexuel.info» ou des groupes Facebook tels que «FTM : Faire Taire Le Mal» , afin d’y discuter avec d’autre Trans et d’y trouver des conseils et des contacts essentiels pour réfléchir et envisager d’entamer une transition dans les meilleures conditions.
– Aller sur le site du GEST (Groupe d’Etude sur les Transidentités)
– Lire le récit d’Axel Léotard «Mauvais genre»
– Lire les écrits de Karine Espineira, dont: La transidentité, De l’espace médiatique à l’espace public, collection Champs visuels
– Voir le site de Lynn Conway
– et les chaines YOUTUBE de Trans FTM Français ou autres qui accompagnent leurs transitions. J’aime bien par exemple: Skylareleven «5 years on Testosterone Picture/Timeline», si vous parlez anglais mais il y en a des centaines…
– Pour comprendre la pluralité des genres et des individus, les écrits de Judith Butler et de B. Preciado
– Et voir le site d’Anne Fausto-Sterling (biologiste et théoricienne du féminisme) et celui de Tom Reucher

Qu’auriez-vous envie de dire à quelqu’un qui n’aurait pas de compréhension pour votre démarche ? Quelques mots de René Char, que je ferai miens: «Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront »  Si on est issu d’une minorité, on doit être à même d’accepter les autres n’est-ce pas? Je sais hélas, que même dans le milieu LGBT, après les décennies de lutte qui furent les nôtres pour obtenir que le respect et des droits nous soient enfin octroyés, certain(e)s n’ont pas toujours conscience de cette nécessité absolue: la tolérance. Nous, Trans, sommes l’ultime minorité, les derniers parias pour peu que l’on soit sans papiers, mais notre solidarité et notre détermination font notre force de résistance. Et nous pouvons, tous et toutes, avancer ensemble dans un monde plus juste où chacun puisse trouver sa place. Personnellement, depuis la transition, je n’ai perdu aucun ni aucune amie, et j’en ai gagné de nombreux. Mais je sais être un privilégié. En ce moment, j’aide dans sa transition un MTF qui vient de quitter son travail, sa famille, sa région, pour vivre enfin sa vraie vie.

Photo et propos recueillis par Sylviane Rebaud

A lire dans le numéro 9 de Jeanne Magazine, l’interview de Kasper P.

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