Tous les mois Astrid, notre globe-trotteuse, nous parle de ses aventures à travers le monde, prodigue ses conseils et partage ses coups de cœur. Dans sa chronique publiée dans le numéro de juin de Jeanne Magazine, elle nous raconte sa rencontre avec Emily en Afrique du Sud et le jour où elle a emménagé chez elle en Suède…

Il y a deux ans, en plein tour du monde, j’arpentais les rues du Cap, en Afrique du Sud. J’y rencontrais Emily, une jeune et belle suédoise, qui voyageait également d’un bout à l’autre de la planète. Je fréquentais à cette époque un jeune homme argentin, qui vivait en Afrique du Sud. Elle entretenait une relation avec un jeune Iranien, qui habitait à Istanbul. Rien ne pouvait alors annoncer que deux ans plus tard, je partagerai avec bonheur son quotidien scandinave, et surtout sa vie.

Depuis le Cap, nous gagnons la Namibie, traversons son désert flamboyant, puis parcourons le Botswana en stop. Elle s’envole ensuite pour Istanbul, rejoindre son prince charmant. Je redescends en Afrique du Sud et retrouve l’hombre qui m’y attendait. Et puis, tout bascule.

Nos romances passagères s’effritent et sur un coup de tête, Emily et moi décidons de parcourir l’Europe en stop. Pourquoi ? Pourquoi pas… Je prends le premier vol pour Istanbul, et nous tendons le pouce à la sortie de cette capitale tentaculaire. Nous passons la frontière, écumons les autoroutes grecques, franchissons l’Adriatique en bateau-stop, puis restons quelques temps en Italie. Là, je sais que plus rien n’arrêtera désormais cette flamme qui m’anime à chaque fois que mes yeux se posent sur elle. C’est à Rome, sous la pluie battante d’une nuit où le vin avait coulé à flots, que je parviens finalement à lui faire part de cette irrésistible envie d’aller plus loin. Elle me prend la main, voici le début d’une toute nouvelle vie.

C’est la première fois que je tombe amoureuse d’une femme, et elle trouve les mots justes pour me rassurer dans la découverte de ce nouveau monde qui s’ouvre à moi. Ensemble, nous poursuivons nos aventures sur la route et sur les mers, et partons en stop jusqu’en Afrique de l’Ouest, nous plongeons en plein Sahara. Notre vie de bohème s’arrête lorsqu’elle doit retourner à Malmö, de mon côté je voyage quelques mois de plus et atteins Odessa en Ukraine. Nous vivons là une vraie rupture dans ce quotidien que nous aimions tant. Habituées à passer la totalité de notre temps toutes les deux, nous avons du mal à nous adapter à cet éloignement brutal.

Le hasard me conduit toutefois au bord de la mer Noire, en Roumanie, lorsque nous réalisons que cette distance devient chaque jour de plus en plus présente. Trop présente. Alors, comme si la Suède n’était qu’à deux pas, je traverse à nouveau l’Europe, mais en sens inverse cette fois. Je vole sur les autoroutes européennes comme si je voyageais en avion. Quelques jours plus tard, je franchis l’Öresundsbron, le pont qui relie Copenhague à Malmö. Je retrouve Emily avec émotion, après de longs mois de séparation.

En sortant mon stylo pour rédiger cet article, je souhaitais vous raconter comment se sont déroulées mes premières semaines suédoises. J’avais commencé par quelque chose comme : « Aujourd’hui je vis à Malmö, troisième ville la plus grande de la Suède, connue pour sa Turning Torso (tour torsadée) mais surtout pour avoir vu grandir Zlatan Ibrahimović ». Mais en fait, ce n’est pas vraiment cela que j’ai envie de partager avec vous, vous savez feuilleter un guide de voyage.

Je voulais également écrire quelques conseils pour déménager à l’étranger, mais en réalité, je n’en ai aucun : il m’a juste suffi de venir jusqu’ici. Je n’ai rien planifié, et je n’ai accompli aucune formalité administrative. D’ailleurs, officiellement, je ne vis nulle part, depuis que j’ai quitté mon logement il y a trois ans. Ce qui me tient réellement à cœur, c’est de partager avec vous ceci : parfois, il est plus simple de se lancer, et d’agir avec spontanéité. Même si cela semble n’avoir aucun sens : vivre à Malmö, mais pour quoi faire ? Je suis ici depuis plus d’un mois et les journées passent à une vitesse folle. La Suède regorge de trésors méconnus. Ici comme ailleurs, seul le temps permet de découvrir toutes ces merveilles cachées, interdites au voyageur trop pressé. De plus, la culture scandinave est de loin la plus ouverte d’esprit que j’ai pu côtoyer. À Malmö, les rainbow flags flottent un peu partout dans le centre-ville, on pourrait facilement se croire à Soho. J’y reviendrai dans un prochain numéro de Jeanne, mais je crois bien que c’est la première fois que je peux tenir la main d’Emily dans la rue, sans même ressentir le moindre regard dévisageant, de méchanceté ou d’étonnement.

Alors, si je devais répondre à la question précédente, je dirais que si j’ai décidé d’emménager à Malmö, c’est pour y vivre une partie de ma vie, de notre vie, tout simplement. Grâce à Emily, j’ai pu saisir l’occasion de me risquer à l’expatriation à l’étranger pour la première fois. Ces trois dernières années, j’ai énormément vadrouillé, mais je n’ai jamais été que de passage dans un lieu. Je n’ai pas pris le temps de m’immerger dans un seul et même environnement durant plusieurs mois, de me plonger dans une autre culture avec le sentiment de vouloir y appartenir ne serait-ce qu’un peu, ni de me confronter de plus près aux réalités d’un pays. Ici, j’apprends tous les jours à envisager la société avec un nouveau regard. Celui d’Emily bien sûr, mais aussi celui d’un peuple avant-gardiste dans bien des domaines : égalité des genres, lutte contre les discriminations, protection de l’environnement… Moi qui pensais que la France comptait parmi les pays les plus avancés de la planète, je vois à présent tout le chemin qu’il nous reste à parcourir dans la construction d’une société plus juste, plus ouverte et plus respectueuse du monde qui nous entoure. J’aime mon pays autant qu’il me manque, mais avec le recul je le vois aujourd’hui avec des yeux différents. Un mélange de nostalgie et d’espoir mais aussi d’interrogations.

Parcourir le monde m’a toujours permis de remettre en question les différents fondamentaux culturels qui étaient ancrés en moi, piliers d’une éducation française. Toutefois, vivre à l’étranger m’oblige à repousser mes dernières barrières socioculturelles jusqu’à leurs retranchements. Je m’aperçois que l’ouverture d’esprit n’est pas que l’affaire d’autrui : comme tous, j’en manque cruellement. Mettre le doigt sur mes rigidités culturelles et tenter de m’en défaire : tels seront je l’espère les apprentissages que cette expatriation en Suède me permettra de faire. Ensuite, lorsque l’été prendra fin et que le froid mordra la terre scandinave avec appétit, je m’en irai vers des contrées plus clémentes. Et c’est décidé, lorsque je reprendrai la route, j’emmène Emily avec moi, le monde semblait si vide sans elle à mes côtés…

Astrid

www.histoiresdetongs.com

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