Après le très réussi Come As You Are sorti au cinéma en juin dernier, Desiree Akhavan est de retour cette fois sur le petit écran avec The Bisexual. Dans cette série, qu’elle a réalisée et co-écrite, la cinéaste incarne Leila, en couple depuis dix ans avec Sadie (interprétée par Maxine Peake). Mais la jeune femme sent qu’il manque quelque chose dans sa vie et décide de mettre un terme à leur relation afin d’explorer une sexualité qu’elle a toujours gardé secrète.

Briser les clichés

En six épisodes de 26 minutes environ, Desiree Akhavan réussit à évoquer la bisexualité en brisant avec réalisme et sans aucun tabou des clichés encore et toujours éculés. Celle qui se revendique elle-même comme bisexuelle a voulu d’abord raconter son histoire et montrer la difficulté d’assumer une bisexualité que la société a beaucoup de mal à comprendre. Une volonté qu’elle avait commencé à revendiquer avec Appropriate Behavior, son premier long-métrage applaudi par les critiques et les spectateurs.

Ce n’est pas anodin si les fictions – télévisées et cinématographiques – ont encore du mal à mettre en avant des personnages attirés à la fois par des hommes et par des femmes sans tomber dans des poncifs navrants. Une autre preuve tout aussi éclairante est les multiples rejets successifs que la réalisatrice a essuyé de la part de plusieurs chaînes américaines avant de tenter sa chance à Londres, où elle a vendu son idée sans la moindre difficulté. En France, le sujet n’est pas mieux traité et était même quasiment invisible avant la série J’ai 2 amours diffusée sur Arte en mars dernier. Il nous reste pas mal de progrès à faire.

Selon les propres mots de Desiree Akhavan lors d’une interview récente pour The Independent, cette absence de représentation s’explique en partie parce que « la bisexualité est quelque chose de tabou dans le monde queer et dans le monde hétéro. Cela est vu comme maladroit et de mauvais goût. […] Si vous êtes en couple avec quelqu’un de même sexe, alors vous vivez une vie d’homosexuel.le ; si vous êtes en couple avec quelqu’un du sexe opposé alors vous vivez une vie d’hétéro. Vous êtes toujours en décalage ».

L’entourage de Leila illustre d’ailleurs bien ce décalage. Il y a d’abord Gabe (Brian Gleeson), son nouveau coloc et ancien romancier adulé, qui représente à la fois une certaine masculinité toxique et une ignorance assez flagrante. Quand il rencontre les amies lesbiennes de Leila, il se sent si mal à l’aise qu’il demande leur avis sur La Vie d’Adèle. Un moment aussi drôle que gênant qui illustre une connaissance toute relative du monde queer. Ce même groupe d’amies ne se montre pas forcément plus ouvert sur la bisexualité de Leila, qui en est venue à le cacher à tout le monde. Les parents de la jeune femme, eux, ne lui adressent pas vraiment la parole.

Une dramédie intelligente

Explorer sa sexualité peut faire peur et c’est d’autant plus difficile à faire quand on ne se sent pas accepté par ses amis ou sa famille. Leila met dix années à sauter le pas et alors même qu’elle n’est plus adolescente, cette exploration ne se fait pas sans bouleversement. Peu importe l’âge, le regard de la société continue de nous atteindre bien plus qu’on ne le voudrait. Desiree Akhavan traite ces différentes problématiques avec un humour british qui fait souvent mouche. Elle ne s’interdit pas non plus de montrer ou d’exprimer quoi que ce soit devant sa caméra. Les scènes de sexe ont le mérite d’être très réalistes et les dialogues sont souvent crus.

À travers le personnage de Deniz (excellente Saskia Chana), la réalisatrice évoque aussi avec justesse la difficulté de vivre pour soi-même et les barrières que l’on érige parfois sans s’en rendre compte. La meilleure amie de Leila gère une petite épicerie avec sa mère alors qu’elle rêve de travailler dans un restaurant. Mais elle se sentirait coupable de ne pas aider ses parents et se résigne donc à ne jamais être totalement heureuse en faisant non seulement ce qu’on lui demande et en cachant son homosexualité.

Avec cette émotion distillée au fil des épisodes, la série ne devrait pas éviter les comparaisons avec Fleabag, qui oscillait constamment entre le drame et le comédie. The Bisexual n’atteint cependant jamais la maîtrise du sublime show de Phoebe Waller-Bridge et se cherche parfois un peu trop. Mais elle n’en reste pas moins réussie pour autant. C’est toujours un plaisir de voir à l’écran des histoires auxquelles on peut véritablement s’identifier et qui proposent une représentation différente des personnages LGBT. C’est intelligent, bien écrit et sans filtre. Forcément, ça fait du bien et ça nous rappelle combien il est important aujourd’hui d’avoir des réalisatrices comme Desiree Akhavan pour écrire ces histoires toujours autant nécessaires.

Pour le moment, le suspense reste entier sur une possible saison 2 de The Bisexual. En attendant, la saison 1 est d’ores et déjà disponible sur Hulu et débarquera le 23 décembre prochain sur Canal+. Un beau cadeau de Noël dont vous auriez tort de vous priver !

Par Fanny Hubert [Article publié dans le numéro de décembre de Jeanne Magazine]

The Bisexual est diffusée jusqu’au 29 janvier sur Canal + Séries et Mycanal