Rencontre avec Kolia Hiffler-Wittkowsky pour Gosses d’homos, un recueil qui donne, pour la première fois, la parole aux enfants de couples lesbiens. Seize enfants, âgés de 11 à 31 ans, conçus soit par insémination, soit lors de relations antérieures y confient leurs joies, leurs inquiétudes, leurs troubles, leurs espoirs et le regard que les « autres » ont posé sur eux. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro 85 de Jeanne Magazine.

 Kolia Hiffler-WittkowskyPouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Je m’appelle Kolia, et j’ai d’abord coordonné cet ouvrage en tant qu’enfant arc-en-ciel ayant deux mères : je suis née en 1999, d’une PMA. J’ai grandi à Paris et mène actuellement des études de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon.

Gosses d’homos est le premier recueil de témoignages qui donne la parole aux enfants de couples lesbiens. Comment est née l’idée de ce recueil et quels en étaient les objectifs ? L’idée du recueil est née à la fin de l’année 2019. L’État venait enfin de reconnaître à notre mère dite sociale son statut de parente : ma sœur et moi-même avions enfin pu nous faire adopter par elle. C’est à ce moment que j’ai pris conscience de l’importance de la reconnaissance administrative de notre agencement familial, mais cet événement a nourri en moi le désir d’aller plus loin et de faire irruption là où l’on ne nous attend pas, nous, les enfants arc-en-ciel : c’est pour cette raison que la forme-livre s’est imposée. Mon intention était de venir bouleverser les discours réactionnaires que l’on entend dans la plupart des médias, de leur dire, en somme : « Taisez-vous, nous sommes les seules personnes habilitées à parler de notre propre vécu« , et de mettre ces discours de haine en échec. (…)

Les personnes interrogées ont été conçues soit par une PMA, soit par une insémination artisanale, soit lors de relations hétéroparentales antérieures. Parmi les témoignages que vous avez recueillis, avez-vous constaté des similitudes dans les interrogations des personnes rencontrées ? Quels sont les principaux obstacles auxquels ils ont dû faire face ? Que retenez-vous de ces témoignages ? Les vécus respectifs décrits dans cet ouvrage présentent de nombreuses similitudes, qui se structurent globalement autour d’une question centrale : comment vivre en tant qu’enfant arc-en-ciel dans une société queerphobe ? À partir de cette question, les personnes doivent faire face à ce que Didier Eribon a, dans ses Réflexions sur la question gay, décrit au moyen du concept d’injure, à ceci près que l’injure est, dans le cas des enfants arc-en-ciel, indirecte puisque c’est l’orientation sexuelle ou romantique des parentes qui est réprimée et marginalisée. On observe des différences dans la manière d’assumer ou non le fait d’avoir des parentes lesbiennes ou bies : certains témoins « le disent » ouvertement, d’autres sont plus discrètes. J’ai longtemps appartenu à cette dernière catégorie, jusqu’à ce que je prenne conscience de la dimension politique que comporte le fait d’assumer et de manifester sa fierté d’avoir deux mères. Une question que je me suis moi-même posée concerne la racisation : presque aucun des autres « enfants » n’est racisé, tandis que je le suis, du fait de l’origine de la personne que j’appelle « maon donneureuxse » et qu’on appelle plus couramment « donneur » : mes mères sont blanches, contrairement à ma soeur et moi-même. Je me suis ainsi demandé si le vécu d’un enfant arc-en-ciel racisé présentait des différences par rapport à l’expérience d’un enfant arc-en-ciel blanc ; sans surprise, celui-ci ne subit pas de racisme, tandis que l’expérience du racisme ordinaire structure mon existence au moins autant que ma qualité d’enfant arc-en-ciel. Ces résultats permettent de confimer l’importance d’une approche intersectionnelle de la famille : par exemple, une famille peut-être lesboparentale mais blanche, et donc bénéficier de certains privilèges attachés à la blanchité, ce qui n’est pas le cas de toutes les familles.

couverture Gosses d'homos de Kolia Hiffler-WittkowskyY a-t-il des témoignages qui ont résonné avec votre expérience personnelle ? La plupart des témoignages m’ont immédiatement touchée dans la mesure où j’y retrouvais un grand nombre d’expériences, de scènes que j’ai également vécues. Pour ne mentionner qu’un exemple parlant, l’alternative « le dire/ne pas le dire » est présente dans bien des vécus décrits dans ce recueil, alternative qui est mise en évidence dans ce que j’appelle la scène de la fiche de rentrée : peut-on se permettre de contester les intitulés hétérocentrés de la fiche que distribuent les profs au début de l’année scolaire – de rayer la mention « père » pour y substituer le terme de « mère » ? Ou est-on condamné·e à se taire et, par là même, à avoir honte de ne pas être conforme aux normes familiales ?

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Gosses d’homos – Récits d’enfants de couples lesbiens de Kolia Hiffler-Wittkowsky (Max Milo)

 

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