Ecrire collectivement l’histoire des lesbiennes et des femmes qui ont aimé des femmes durant la Seconde Guerre Mondiale tout en déconstruisant les mécanismes d’invisibilisation des lesbiennes qui ont vécu cette période, c’est l’objectif que poursuit le collectif Queer Code, lancé en 2015 à l’occasion des 70 ans de la Libération des camps de concentration. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro d’avril de Jeanne Magazine.

Pouvez-vous nous parler du collectif à l’origine de Queer Code ? Nous étions trois militant.e.s lesbiennes et queer, deux françaises et une suisse : Lydie Doleans, documentaliste ingénieure en informatique culturelle, Charlotte Passera, graphiste et Isabelle Sentis qui est à l’origine du collectif et qui se mobilise depuis plus de 25 ans pour la reconnaissance des parcours de résistance et de déportation des lesbiennes et des femmes qui ont aimé des femmes, cis et trans ainsi que des LGBT (même si ce n’était pas les termes employés à l’époque) durant la Seconde Guerre Mondiale.

Quelles étaient vos motivations lors de la création du projet Queer Code ? Celles-ci ont-elles évolué 5 ans plus tard ? Nos motivations étaient de rendre visibles les parcours de ces lesbiennes. Nous voulions également créer un outil coopératif et participatif afin de développer collectivement notre empowerment. Nous voulions mettre en place une solidarité entre chercheures, militantes, artistes, familles de déportées. Isabelle Sentis a eu, il y a cinq ans, un très grave accident qui l’a contraint à de longs mois de soin. Elle n’a pu se déplacer afin de retrouver des collectifs féministes et lesbiens à travers l’Europe avec lesquels elle avait des projets prévus. Alors ses amies lesbiennes lui ont proposé de réaliser une plateforme numérique afin de réaliser les projets prévus, mais à distance. Il s’agissait de rendre visible leurs mobilisations à l’occasion des 70 ans de la Libération des camps de concentration. C’est ainsi que la grande aventure digitale de Queer Code a commencé ! Notre nom de collectif fait référence aux machines de décodage conçues par Alan Turing pour craquer les codes allemands pendant la guerre, aux codes utilisés par les résistant.e.s mais aussi aux codes utilisés par les lesbiennes pour se reconnaître entre-elles… et bien sûr aux QR code. Nos motivations restent les mêmes : écrire collectivement l’histoire des lesbiennes et des femmes qui ont aimé des femmes durant la Seconde Guerre Mondiale. Une coopération qui vise à ne pas reproduire la hiérarchisation des savoirs et à créer un écosystème de co-construction de savoirs et d’entre-aide entre les différentes actrices et acteurs. Nous contribuons avec d’autres à déconstruire les mécanismes d’invisibilisation des lesbiennes qui ont vécu cette période. Ce qui a évolué, c’est que d’autres militant.e.s nous ont rejoint.e.s. Maintenant notre collectif compte des membres de 22 à 78 ans, de plusieurs nationalités et de différentes régions de France. Nous avons petit à petit développé de nouveaux outils de médiation comme les cartographies numériques. Notre motivation est intacte voire boostée ! Certains groupes de lesbiennes et des institutions nous proposent maintenant de participer à des projets sur des périodes historiques plus contemporaines.

Avec Queer Code et grâce aux travaux d’activistes et militantes féministes, historiennes, sociologues ou encore artistes, vous souhaitez visibiliser les parcours de femmes LBQ durant la Seconde Guerre Mondiale. Diriez-vous que la visibilité lesbienne, ça commence par ne pas oublier ces femmes-là ? En quoi, selon vous, la transmission et l’héritage sont-ils des concepts primordiaux pour la communauté lesbienne ? Pour nous, la visibilité lesbienne s’ancre dans notre herstory qui est importante à connaitre et à découvrir ensemble. La diversité des identités des femmes ayant vécu à d’autres périodes nourrit nos identités d’aujourd’hui même lorsque nous ne connaissons pas leurs parcours. En partant à la découverte de l’histoire des lesbiennes, cisgenres et transgenres ayant vécu lors de la Seconde Guerre Mondiale nous sommes frappées par leur modernité, par les échos que ces histoires produisent en nous. En tous cas la transmission de ces fragments de parcours tisse de puissants liens entre elles et nous mais surtout entre nous. La société hétéropatriarcale veille à nous diviser, nous hiérarchiser et à nous rendre invisibles. Alors partager la diversité de cet héritage est un véritable acte de résistance et de sororité.

Cette année, vous comptez partager l’histoire des lesbiennes allemandes et françaises pour marquer les 75 ans de la libération des camps de concentration. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces réalisations ? Nous avons proposé au Mémorial de Ravensbrück de présenter une exposition multimédia dédiée à 5 parcours de lesbiennes allemandes et françaises déportées au camp de concentration de Ravensbrück en Allemagne. Elles s’appelaient Elsa Conrad, Henny Schermann, Marguerite Chabiron, Suzanne Leclezio et Yvonne Ziegler. Cette exposition intitulée Constellations brisées, Ravensbrück présente quatre cartographies de parcours qui sont reliées grâce à des QR code à nos cartographies numériques. 120 000 femmes et enfants originaires de plus de 30 pays ont été déporté.e.s dans ce camp de concentration. Présenter ces 5 parcours lors de la programmation culturelle liée aux cérémonies de commémoration de ce camp est un acte fort de visibilité. Mais également un acte de solidarité envers les lesbiennes allemandes et autrichiennes qui se mobilisent depuis plusieurs années pour qu’une sculpture dédiée à la mémoire des lesbiennes déportées et tuées dans ce camp soit installée dans l’enceinte du Mémorial. Nous avons réalisé un travail de coopération avec l’historienne allemande Claudia Schoppmann qui fut la première à mener des travaux de recherches universitaires en 1991 sur les lesbiennes allemandes et leurs persécutions lors du 3è Reich. Cette coopération a été rendue possible grâce à Suzette Robichon qui se mobilise sur ces questions mémorielles depuis très longtemps. Nous avions mené des recherches sur Marguerite Chabiron une résistante française il y a quelques années grâce à l’historienne Christine Bard qui nous avait mise en contact avec le neveu de Marguerite : Jean-François Moreau. Nous avons également coopéré avec le chercheur Laurent Thévenet qui mène des recherches sur les assistantes sociales des chemins de fer. C’est lui qui nous a permis de découvrir l’histoire de résistance et de déportation du couple Suzanne Leclezio et Yvonne Ziegler. Il a été partant pour participer à cette exposition et à contribuer à la réalisation de la cartographie numérique qui leur est dédiée. Comme les cérémonies ont une dimension internationale, il nous a fallu réaliser un travail conséquent de traduction en allemand et en anglais. L’ensemble de ce projet a demandé des centaines d’heures de bénévolat et a mobilisé des compétences très variées. Enfin ce projet a pu avoir lieu grâce au soutien du fonds de dotation LIG (Lesbiennes d’Intérêt Général) qui nous a apporté un soutien financier et intellectuel.(…)

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constellationsbrisees.net | www.queercode.net

Retrouvez la totalité de cette rencontre dans le numéro #74 de Jeanne Magazine.

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