Depuis janvier 2019, plusieurs élus locaux polonais ont pris des arrêtés visant la communauté LGBTQ+. Selon les chiffres du site Atlas de la haine, une carte collaborative mise en ligne par des activistes, près d’une centaine de villes ou zones administratives se sont déclarées « libres de toute idéologie LGBTI », soit un tiers du pays. Pour en savoir plus sur la situation des personnes LGBT en Pologne, Jeanne Magazine a rencontré Yga Kostrzewa, militante de longue date pour l’égalité des droits en Pologne et porte-parole de l’association LGBT Lambda Warszawa. Extrait de la rencontre publiée dans le numéro de mars de Jeanne Magazine.

Lambda Warszawa a récemment lancé le premier numéro de QueerStoria, un magazine documentant le mouvement LGBT polonais. Pouvez-vous nous parler de ce projet d’archives ? La particularité du mouvement LGBT polonais est qu’on en parle depuis très peu de temps, alors qu’il existe depuis plus longtemps, simplement il a été négligé pendant de longues années. Depuis de nombreuses années, nous observons une évolution constante des événements LGBT, comme avec les marches des fiertés, organisés principalement par la plus jeune génération. C’est pourquoi il nous a semblé indispensable de nous pencher sur l’histoire, sur les personnes qui ont construit notre mouvement. Ces dernières années ont vu la publication de plusieurs livres abordant cette thématique mais à Lambda Warszawa, nous maintenons le centre d’archives le plus important du pays et ces documents ne cessent d’affluer avec le soutien des anciens qui nous confient des documents à la valeur inestimable. Nous ne voulions pas négliger ces documents et qu’ils restent sur une étagère, nous voulions les partager avec tous, c’est pour cette raison que la création du magazine QueerStoria s’est avérée indispensable – pour décrire notre histoire commune et partager les archives en notre possession. Le développement de ce projet a été très riche pour nous tous et il rencontre aujourd’hui un grand succès.

Comment qualifieriez-vous la période que la Pologne traverse actuellement ? Nous vivons très certainement dans une période intéressante d’un point de vue sociologique. Nous pourrions la qualifier de période charnière en terme de changement, car la Pologne cherche et réévalue son positionnement. Si les autorités en place tout comme la population ne comprennent pas l’importance que revêt les droits humains (incluant bien sûr les droits LGBT), nous aurons alors deux alternatives. Soit prendre le chemin progressiste qu’ont emprunté la plupart des pays européens ou alors suivre celui de la Russie avec l’adoption de sa loi sur la « propagande gay »… et en tout état de cause, quand on regarde les événements actuels dans le pays, on se dit que ce chemin n’est pas impossible.

En effet, la situation pour les personnes LGBT en Pologne est des plus préoccupantes avec l’instauration de « zones libres de toute idéologie LGBT ». Pouvez-vous nous expliquer ce contexte inquiétant que traverse le pays en ce moment ? La raison principale est le manque d’éducation ici en Pologne, le manque également d’éducation sexuelle. Les gens ont un niveau de connaissance très faible pour ce qui est des thèmes LGBT. Et il faut dire que le gouvernement ultra-conservateur actuel (parti PiS) ne fait absolument rien pour sensibiliser l’opinion publique à ces sujets. Bien au contraire, devrais-je dire, puisqu’il a déclaré les termes « genre », « gay » et « idéologie LGBT » comme des ennemis du pays. Bien sûr, l’église catholique a emboîté le pas à ce message et ce mélange a engendré une situation plus qu’explosive. Ces idées nauséabondes ont rencontré un large public en Pologne car la très grande majorité de notre population est catholique et suit les discours de l’église. En parallèle, les gouvernements locaux qui se sont déclarés comme « zone libre de toute idéologie LGBT » ne comprennent souvent pas l’importance de ces mots. Ils se justifient en expliquant que ce n’est pas contre les personnes mais contre « l’idéologie » et là je pense avant tout qu’ils tirent sur la corde de la peur. (…)

Comment réagit l’ensemble de la population polonaise ? Selon le média que l’on regarde, les réactions divergent. On ne peut plus se fier à la télévision publique aujourd’hui qui est très pro-gouvernement et relaye un monde complètement déformé. A l’inverse et heureusement, d’autres médias expliquent combien ces zones sont une aberration, que la Pologne devrait en avoir honte, que cela n’est pas approprié pour un pays au sein de l’Union Européenne. (…)

En décembre dernier, le Parlement européen a condamné la proclamation de ces zones, et comme vous le disiez, en France et dans de nombreux pays, certaines municipalités ont fait le choix de rompre leur jumelage avec une ville polonaise qui adhère à ces décisions homophobes. En quoi pensez-vous que cela soutienne la population locale ? Un site internet citoyen polonais, Oko.press, a récemment commencé à écrire aux maires en Europe partenaires de villes polonaises, pour les inciter à rompre le jumelage mis en place. Beaucoup d’autres initiatives similaires ont vu le jour dans le pays et la retombée est indéniablement très importante. Ce genre de retombées est très embêtantes pour les villes polonaises concernées, cela va donc probablement aider à renverser la situation à termes. Cela pourrait être choquant pour nombre de citoyens de pays de l’Europe de l’Ouest, mais ici, j’ai lu de nombreuses déclarations de politiques locaux qui expliquent « vivre ainsi depuis des siècles et espérer vivre ainsi encore pendant de nombreuses années ». Cela démontre bien que ces personnes n’ont aucune idée qu’il existe différents modes de vie ni différentes orientations sexuelles. (…)

(…)

lambdawarszawa.org

Retrouvez la totalité de cette rencontre dans le numéro #73 de Jeanne Magazine.

Parce que c’est un combat de tous les jours de faire exister durablement un magazine 100% lesbien et que seul votre soutien financier est décisif pour la pérennité de votre magazine 100% indépendant, nous vous invitons dès aujourd’hui à vous abonner, à commander votre exemplaire papier des deux premiers hors-séries ou encore à vous faire plaisir dans la boutique de Jeanne !