Ils ont entre 7 et 30 ans, ils s’appellent Théo, Cyrille, Nicolas, Anne-Sophie, Alix, Camille, Nino et Amilcar. Pour Jeanne Magazine ils témoignent sur le fait de grandir dans une famille composée de deux mamans. À lire dans le numéro d’octobre de Jeanne Magazine.

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Dans le sud de l’Ardèche, Manuela 51 ans, exerce son métier d’AMP auprès d’enfants porteurs d’autisme depuis 27 ans. Mariée pendant 17 ans avec un homme – de cette union est né Théo, son fils, qui vient de fêter ses 21 ans – elle vit depuis 11 ans avec Leila, une « femme formidable ». Pour Jeanne Magazine, les deux femmes  reviennent sur leur histoire et Théo témoigne sur le fait d’avoir grandi dans une famille homoparentale.

Manuela
Si j’analyse aujourd’hui la situation de mon adolescence et de femme mariée je vous dirai que j’ai toujours été attirée par les femmes. Mais à l’époque je ne le savais pas encore… cette attirance s’est amplifiée au fil des années de mariage. Lors d’un repas en tête à tête dans un restaurant avec mon ex-mari j’ai eu un coup de foudre sur la fille qui était seule à la table d’à côté. Alors qu’elle ne me calculait pas, moi je n’avais d’yeux que pour elle. J’ai mis un an à la retrouver (mais ça, c’est une autre histoire…). C’est grâce à cette personne que j’ai assumé mon homosexualité. J’ai quitté le papa de mon fils pour elle, nous avons été heureuses pendant 5 ans et ce fut une belle histoire malgré une fin qui l’a été beaucoup moins. Il s’est passé un an entre la fin de cette histoire et la rencontre avec la femme qui partage aujourd’hui ma vie. Durant cette année j’ai eu des aventures mais ces femmes n’ont jamais été présentées à mon fils. Théo avait 4 ans lorsque j’ai quitté son papa, il a donc vécu depuis son jeune âge au sein d’un couple de femmes. Bien sûr tout n’a pas été simple. À commencer par le papa qui a très mal pris la chose et s’est donc défoulé en m’accusant de tous les maux et perversions de la terre et ce devant et auprès de notre fils… sa virilité en avait pris un coup… j’ai eu beaucoup de chance que mon fils m’ait toujours défendue même avec son jeune âge il refusait de croire ces méchancetés. (…)

Leila
Je m’appelle Leila, j’ai 44 ans. J’ai toujours été homosexuelle et je me suis découverte à l’âge de 18 ans. J’ai la chance d’avoir vécu quelques histoires d’amour, mais qui n’ont guère duré plus de 4 ans. J’ai rencontré Manuela via internet, il y a 11 ans alors que je vivais à Montpellier et elle en Ardèche. Je n’avais aucune intention de trouver la femme de ma vie à ce moment – là, je ne souhaitais profiter que des plaisirs charnels. Je ne souhaitais pas partir de Montpellier non plus car j’avais mis du temps à m’installer dans le Sud (jusqu’à l’âge de 29 ans je vivais en région parisienne). J’ai donc fait le choix de rejoindre Manuela en Ardèche car elle ne souhaitait pas prendre le risque de quitter son travail par peur de ne plus pouvoir assumer son fils. N’ayant pas d’enfant, (et ne souhaitant pas en avoir) il était donc plus logique que je prenne le risque de tout quitter, et 6 mois après, nous entamions les démarches pour faire construire notre nid d’amour. Pendant ces 11 années je ne suis jamais intervenue dans l’éducation de son fils, car j’ai toujours estimé qu’il avait ses deux parents pour cela et que je n’ai jamais eu d’intérêt pour les enfants. Malgré cela j’ai toujours été admirative de son rôle de mère. J’aurais aimé avoir une mère comme elle. J’aurais adoré être aimée comme elle a aimé son fils et comme elle continue de l’aimer. Pour moi c’est une vraie mère et non pas juste une femme qui a enfanté. Manuela n’a eu qu’un garçon et elle a réussi à transmettre tout ce qu’elle a de bon en elle. (…)

Theo
Je m’appelle Théo, 21 ans, je suis l’unique enfant de mes parents. J’ai quitté mon Ardèche natale depuis plus de 3 ans pour partir étudier l’art et plus précisément la mode à Paris. L’histoire commence vers mes 4 ans quand ma mère s’éprend d’une femme alors qu’elle était mariée avec mon père depuis plus de 17 ans, mais ça, elle a dû vous le raconter. Le divorce a été signé lorsque j’avais 5 ans à peu près, ma mère et moi sommes donc partis vivre avec cette femme. A ce moment-là commença une longue et interminable période de garde alternée. Je n’ai jamais fait le choix de vivre en particulier chez un seul de mes parents car je ne voulais pas causer de tristesse à aucun des deux. Je pense que je n’ai pas souffert de l’homosexualité de ma mère mais plus d’avoir le sentiment d’être trimbalé d’un foyer à un autre comme une valise et ce sentiment-là, tous les enfants de parents divorcés ont dû le ressentir et même ceux issus de couple hétéro parental. J’ai abordé le sujet de l’homosexualité de ma mère très jeune et avec beaucoup de naïveté, rien ne me semblait « anormal » dans la relation de ma mère avec une autre femme, c’est donc tout naturellement que je répondais à mes camarades de classe que non, ce n’était pas ma nounou qui venait me chercher à l’école mais la conjointe de ma mère. À ce moment-là je n’ai pas vraiment compris que la chose était taboue et que certaines personnes trouvaient ça « anormal » et limite contagieux, et naturellement comme ma mère était lesbienne j’étais forcément un « pédé », les enfants emploient des mots durs et très blessants. Mes amis ne m’ont jamais tourné le dos pour ça, du moins je ne m’en souviens pas. Il est vrai que je n’avais pas beaucoup d’amis mais je pense que c’était davantage à cause de mon comportement taquin avec certains où peut-être à cause de mon attitude générale, ma façon de me comporter. En effet d’une manière générale il n’y avait pas beaucoup de présence masculine dans ma famille si ce n’est mon père, mon oncle et mon grand-père. Le reste du temps j’étais entouré de femmes, du côté de mon père je n’avais qu’une cousine, et du côté de ma mère, sa conjointe avait deux sœurs dont une était également en couple avec une femme. Ensemble elles avaient une fille, et sa compagne en avait deux que je considérais comme mes cousines germaines car on avait le même âge et on jouait souvent à des jeux de filles, poupée, dînette, maîtresse etc. Et ces relations ont, je pense, sincèrement affecté mon attitude, d’une certaine manière je captais leurs gestes, leurs attitudes et finissais par les imiter. Je n’étais pas comme tous ces garçons à l’école qui jouaient au foot ou qui avaient déjà à 10 ans une certaine virilité, j’étais assez maniéré d’où les nombreuses moqueries que j’ai pu subir.
Le sujet n’a jamais été abordé avec mes profs, ni en classe ni en privé. D’ailleurs peut-être que ça aurait été pas mal d’en parler finalement, les professeurs sont là pour « éduquer » et sensibiliser les enfants sur certains sujets et donc je pense qu’aujourd’hui il manque cruellement de cours sur la sexualité d’une manière générale. J’ai fait toute ma scolarité dans une école privée catholique, ce qui n’a certainement pas non plus aidé à libérer la parole. Je n’ai jamais compris pourquoi nous avions fait un bond en arrière sur ce sujet comparé aux années 50 où les professeurs faisaient des cours d’éducation sexuelle, être que ça aurait changé pas mal de choses et notamment le regard de mes camarades à mon sujet ou sur celui de ma mère, mais bon… Je m’égare. Sur la question de l’homoparentalité je n’ai pas vraiment mon mot à dire étant donné que je n’ai jamais vécu exclusivement avec un couple homoparental. Je n’ai jamais blâmé ma mère pour son orientation sexuelle mais plus sur le fait d’avoir quitté mon père en général, elle serait partie avec un homme je l’aurais autant mal pris. Finalement, dans cette histoire c’est mon père qui n’a jamais réussi à digérer le divorce, plusieurs fois lorsque j’étais enfant, les repas de famille étaient souvent les moments ou mon père proférait des insultes envers ma mère et sa conjointe (qui évidemment n’étaient pas présentes) des mots durs à entendre pour un enfant au sujet de sa maman, j’ai toujours été très proche de ma mère, je l’ai toujours défendue et c’est peut-être ça qui a renforcé notre lien. D’ailleurs lorsque sa première conjointe l’a quittée, j’étais très triste car je l’appréciais énormément, et ma mère était dans un profond chagrin, c’est donc ensemble que nous avons surmonté cette épreuve. Aujourd’hui ma maman est très épanouie avec sa femme, qu’elle a rencontrée il y a 11 ans, et que j’apprécie beaucoup. Jamais je ne blâmerai ma mère pour son orientation sexuelle, aujourd’hui je suis fier d’elle, fier qu’elle ait su s’émanciper alors qu’elle venait d’une famille catholique pratiquante. Je pense que c’est grâce à elle et à son éducation qu’aujourd’hui je suis ouvert d’esprit et tolérant. Merci Maman…

Camille a 26 ans, elle étudie actuellement le droit à Paris et a récemment contacté la rédaction de Jeanne pour partager son histoire avec les lectrices. Née d’une PMA, réalisée en Belgique, Camille ne comprend pas qu’aujourd’hui la France n’ait toujours pas franchi le cap de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, car comme elle dit « il y a un recul suffisant aujourd’hui pour savoir que les enfants issus d’un couple homoparental sont aussi bien dans leur tête et dans leur vie que n’importe quel autre enfant ». Rencontre

Comment avez-vous vécu, plus jeune, l’homosexualité de votre mère alors que le sujet était encore tabou ? C’est vrai que dans les années 90, on parlait peu d’homosexualité et encore moins d’homoparentalité. Je suis née en 1993 et j’ai très vite intégré le fait que j’avais deux mères. Je l’ai vécu tout aussi facilement qu’un enfant qui a un papa et une maman. Nous habitions à quelques kilomètres de chez mes grands-parents et mon oncle n’habitait pas très loin non plus. J’ai donc pu grandir en ayant des repères masculins comme on dit [Rires]. Mais pour être honnête, être enfant ne veut pas dire être idiot : on comprend les choses. Je voyais bien que mes copines et mes copains à l’école avaient un papa et une maman, mais qu’est-ce que cela changeait ? J’étais punie de la même manière quand je faisais des bêtises, j’aimais aller aux anniversaires de mes copines de la même manière et je n’aimais pas plus que ça faire mes devoirs de la même manière que mes copines [Rires]. C’est le regard des autres qui nous fait nous sentir différent et mes mères m’ont beaucoup parlé de ce regard qu’il fallait ignorer.

Vos camarades de classe étaient-ils au courant de la situation ? Si oui, comment l’ont-ils su ? Quelles ont été leurs réactions ? Je ne faisais pas d’annonce générale en début d’année [Rires] mais oui, toutes mes copines le savaient car je les invitais beaucoup à la maison et mes mères étaient toujours là (elles ont créé une société il y a une vingtaine d’années et travaillent à la maison). D’ailleurs mes copines les aimaient beaucoup de souvenirs [Rires]. On était jeune, elles n’ont donc pas eu de réactions particulières. Je me souviens simplement d’une fois alors que j’étais chez une de mes amies, sa mère était venue me voir pour me demander si ça ne me manquait pas de ne pas avoir de papa. J’ai trouvé sa question un peu bizarre mais je suis vite retournée jouer avec ma copine. Je pense, aujourd’hui avec le recul, que le fait d’être une petite fille pleine de vie avec des mamans ouvertes sur la question ou du moins qui ne se cachaient pas, nous a permis de faire avancer les mentalités à ce sujet autour de nous. C’est à petite échelle, mais je suis convaincue que les grandes phrases à ce sujet, les banalités échangées sur un plateau de télé ou dans un magazine ne permettent pas forcément à ceux qui sont opposés à l’homoparentalité de les faire changer de point de vue. Par contre, voir et évoluer près d’une famille homoparentale bien dans ses baskets, clairement ça change la donne !

Comment cela se passait-il avec vos profs ? Les profs sont des êtres humains avec leurs qualités et leurs défauts, alors je dirai que ça se passait bien la plupart du temps et pour d’autres, c’était un sujet plus « tabou ». Sitôt qu’il fallait se rencontrer avec mes mères à l’occasion de réunions parents/profs, mes mères me disaient sentir une « crispation » mais rien de bien plus grave. Je n’ai jamais été pénalisée, il fallait juste passer outre ce regard de l’autre une fois encore [Rires]. On apprend à le faire très bien avec le temps et cela m’a aidée à me forger un caractère plutôt bien trempé comme me disent mes mères aujourd’hui [Rires].

Qu’avez-vous ressenti en 2013 lorsque vous avez entendu les débats autour de la loi du mariage pour tous, et les critiques sur les familles homoparentales ? J’ai très mal vécu cette période. Les phrases assassines prononcées dans l’enceinte de l’Assemblée nationale qui est, pourtant, un pilier fondateur de notre démocratie, m’ont beaucoup touchée. Se faire qualifier « d’enfant Playmobil » par un député ne fait pas particulièrement plaisir… J’ai d’ailleurs trouvé qu’on ne nous avait pas assez donné la parole. Je sais qu’il faut prendre du recul mais les débats étaient d’une telle violence à notre égard. Cela devenait très difficile à vivre. Pourquoi alors ne pas avoir invité sur les plateaux de télé des enfants issus de couples homos, ils auraient ainsi vu qu’on est loin d’être des « enfants Playmobils », « des produits fabriqués » ou encore « des terroristes en puissance »… J’ai d’ailleurs un peu peur que l’on en vienne à vivre prochainement ce même genre de propos ignobles avec les débats sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. La France a évolué à ce sujet mais pas les médias qui décident toujours de donner la parole aux « anti »… Tant que ce sera le cas, il faudra continuer d’endurer ces paroles nauséabondes qui blessent plus qu’elles n’éclairent.

Cela vous est-il personnellement déjà arrivé d’entendre des critiques, d’être embêtée / gênée du fait de grandir dans une famille homoparentale ? Jamais je n’ai eu à subir d’homophobie à l’égard de mes mères ou de notre modèle familial. J’ai rencontré plusieurs personnes qui s’interrogeaient sur nous mais je ne suis jamais contre l’idée de répondre aux questions. C’est comme ça qu’on avance et qu’on apprend le vivre ensemble.

Y a-t-il des situations particulières où vous vous sentiez différente des enfants qui vivent dans une famille composée d’une maman et d’un papa ? Jamais non plus, si ce n’est quand on nous le fait remarquer [Rires]. Par exemple au moment de remplir le fameux questionnaire à l’école en début d’année « métier du père, métier de la mère »… Ou aujourd’hui encore les formulaires qui demandent le nom du père. Mais pour moi, ce n’est qu’un détail. Ce serait bien que cela évolue, car cela serait la concrétisation du changement de mentalité en France, mais je pense qu’on n’en est pas encore arrivé là. Ça viendra un jour. Un jour, j’espère que peu importera de savoir si on a une maman et un papa, ou deux mamans ou deux papas ou une maman, ou un papa… Je pourrai continuer à égrener ces modèles familiaux encore longtemps, car il en existe autant qu’il existe de familles, c’est ce que j’ai appris en tant qu’enfant issue d’une famille dite « différente ».

L’argument principal des anti-homoparentalité est qu’un enfant a à tout prix besoin d’une présence masculine et d’une présence féminine pour correctement s’épanouir. Que pensez-vous de ça ? Je parle pour moi uniquement, j’imagine qu’il y a plusieurs bonnes réponses à cette question. Je suis heureuse d’avoir grandi autour de mes mères, mes grands-parents, mes oncles et tantes, mes cousins et mes cousines, mais mon principal repère aujourd’hui encore est mes mères. Alors peut-on parler de besoin ? Je ne sais pas. Qu’en est-il d’une famille hétéroparentale où l’enfant ne grandirait qu’avec son papa et sa maman, sans grands-parents, sans oncles et tantes, sans cousins et cousines… Peut-être aurait-il une carence affective, qui sait. Je pense avant tout qu’un enfant a besoin d’amour et d’attention, il a besoin d’être éduqué sur le monde dans lequel il vit. Il a besoin d’apprendre à avoir les yeux et l’esprit ouverts et je dois remercier mes mères de m’avoir offert tout cela…

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