Après Un amour impossible sorti en 2018, Catherine Corsini est de retour avec La Fracture, un film plus contemporain (et plus lesbien!). Présenté en compétition lors de la dernière édition du Festival de Cannes et lauréat mérité de la Queer Palm, le 11e long-métrage de la réalisatrice nous plonge dans une nuit mouvementée. Alors que Raf (Valeria Bruni-Tedeschi) et Julie (Marina Foïs) sont au bord de la séparation, la première se casse le coude en tombant en pleine rue. Quand elle arrive à l’hôpital, elle y croise Yann (Pio Marmaï), un gilet jaune grièvement blessé par la police. Le chaos ne tarde pas à s’immiscer dans ces longues heures d’attente, où la crise sociale se mêle à celle d’un couple qui ne se comprend plus. Retrouvez notre article sur le film publié dans le numéro 89 de Jeanne Magazine.

L’intime et le social

Après deux longs-métrages situés dans les années 50 et 70, Catherine Corsini revient à une époque plus contemporaine dans La Fracture. La crise des gilets jaunes et celle de l’hôpital sont des sujets on ne peut plus d’actualité. Pour les évoquer, elle utilise un point de départ très autobiographique : la nuit du 1er décembre 2018 qu’elle a passée aux urgences avec sa compagne, la productrice Elisabeth Perez, à cause d’un coude cassé. Cette mésaventure lui a permis de voir l’hôpital comme une arène où toutes les classes sociales se rencontrent, s’énervent, s’impatientent et finissent par se réconforter.

La réalisatrice part d’une relation intime et cabossée entre deux femmes pour évoquer le climat social délétère de la société française. Raf – quittée par Julie -, les gilets jaunes et les soignants de l’hôpital ont en commun d’être des gens qui subissent leur état, qui sont en souffrance et qui n’ont d’autres choix que de se remettre en question pour avancer. Catherine Corsini ne change pas ses habitudes en confrontant les classes sociales et en les faisant échanger, même si ce n’est pas gagné au départ. Raf qui vient d’un milieu aisé et Yann, qui peine à maintenir la tête hors de l’eau, ont plus de choses à se dire que l’on croit lorsqu’ils sont immobilisés sur un brancard.

Une mise en scène nerveuse et un humour cathartique

Puisque la crise sanitaire empêchait tout tournage dans un vrai hôpital, l’équipe a dû tourner en studio, avec l’hôpital Lariboisière comme référence. Mais le résultat n’est pas celui d’un « petit théâtre », comme le redoutait la cinéaste. Tout y semble réaliste notamment grâce au travail sur le son qui permet une reconstitution très crédible du milieu hospitalier. De plus, la crise intime et sociale qui se joue à l’écran est renforcée par une mise en scène peu habituelle dans la filmographie de la cinéaste.

Le film se déroule en une nuit, quasiment en huis clos, et la caméra est souvent à l’épaule. La tension est caractérisée par un mouvement constant qui nous tient en haleine pendant un peu plus d’1h30. Pour les rares scènes en extérieur, celles des manifestations, la dynamique ne s’essouffle jamais non plus. Catherine Corsini ne lâche pas ses personnages et les filment aussi près que possible. Les dialogues s’enchaînent à toute vitesse, les corps blessés sont malmenés et l’immersion est totale. Nous vivons avec les protagonistes les moments forts et violents qu’ils traversent sans pouvoir détourner le regard un instant.

Le film est certes très politique, mais la réalisatrice évite l’écueil du long-métrage trop misérabiliste ou donneur de leçons. Elle y arrive notamment grâce aux nombreux moments d’humour qu’elle glisse dans le film. En faisant entrer habilement la comédie dans le drame, Catherine Corsini nous offre des instants cathartiques bienvenus qui nous font réaliser encore plus la violence de ce que subissent les gilets jaunes et les soignants. Ce contraste apporte une touche d’absurdité qui n’est jamais forcée. Par un subtil dosage, la réalisatrice trouve le ton juste et marquant.

Un casting de haute volée

Il est maintenant temps de s’attarder sur le casting de La Fracture. Pour interpréter son propre couple, Catherine Corsini a choisi deux interprètes libres, déjantées et au talent immense : Valeria Bruni-Tedeschi et Marina Foïs. La réalisatrice leur offre une partition sur-mesure qu’elles jouent à la perfection. Les deux actrices sont en parfaite symbiose et s’amusent à se déchirer sans jamais en faire trop. On croit sans réserve à leur amour autant qu’au chagrin de Raf et à l’épuisement de Julie. Pio Marmaï, qui incarne Yann, met toute la force et la fougue qu’on lui connaît dans un rôle qui a été écrit pour lui et dans lequel il n’a aucun mal à se glisser.

La performance la plus impressionnante est toutefois décernée à Aïssatou Diallo Sagna, actrice non-professionnelle et aide-soignante dans la vraie vie. Elle n’est pas la seule soignante à avoir été castée – Catherine Corsini a mis un point d’honneur à en intégrer beaucoup dans le film – mais elle est celle qui a l’un des rôles les plus difficiles à jouer. Elle interprète Kim, une infirmière qui enchaîne les gardes depuis 6 jours, doit gérer les appels de son compagnon qui s’inquiète pour leur fille malade et doit faire face à des patients parfois violents. Elle est étonnante de justesse notamment dans une scène puissante de prise d’otage où toute son émotion et sa colère jaillissent, nous laissant bouleversées et secouées.

Par Fanny Hubert

La Fracture sort sur les écrans aujourd’hui, le 27 octobre, et vous l’avez compris, il ne faut pas le rater.

Par Fanny Hubert

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