Le vote de la loi Taubira, le 23 avril 2013, ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, a été un énorme soulagement pour les familles homoparentales. Mais, aujourd’hui, trois ans et demi plus tard, les familles homoparentales s’inquiètent à juste titre du projet de François Fillon, candidat officiel de la droite pour la présidentielle de 2017, de réécrire une partie de la loi Taubira « pour protéger les droits de l’enfant mis à mal par le mariage pour tous », en supprimant l’adoption plénière pour les couples de même sexe. Jeanne Magazine a décidé de faire le point sur l’adoption à travers un dossier, en recueillant, d’une part, les témoignages de trois couples qui reviennent sur les démarches effectuées pour l’adoption de leurs enfants, et d’autre part, ceux de mères sociales, qui ont élevé un ou plusieurs enfants avec leur compagne, et qui, séparées de la mère biologique, se sont battues ou se battent encore aujourd’hui pour voir leur enfant et faire reconnaître leur droits.
Jeanne Magazine a ensuite posé quelques questions à l’avocate Caroline Mécary, qui revient sur la procédure pour obtenir l’adoption plénière et les alternatives pour les mères sociales au cas où cette dernière serait supprimée, et à Céline Cester, secrétaire de l’association Les enfants d’Arc en Ciel, qui nous parle des démarches administratives et juridiques à effectuer pour les mères sociales et sur leurs recours en cas de séparation d’avec la mère biologique de leur(s) enfant(s).

Témoignage Adoption

A Antibes, Magali, 50 ans, mariée depuis deux ans et demi avec Annie, revient étape par étape, sur les parcours d’adoption de ses deux fils conçus par PMA et portés par son épouse, avant de répondre aux questions de Jeanne Magazine. Extrait de son témoignage.

Une fois les enfants nés, nous avons lancé une procédure pour que je puisse avoir la délégation d’autorité parentale sur les enfants jusqu’à leur majorité, et mon épouse a fait un testament pour que je puisse avoir la charge des enfants en cas de décès. Nous avons suivi les débats sur le mariage des personnes de même sexe. C’est lors d’un voyage en Italie que nous avons appris que la loi du Mariage pour tous avait été votée : enfin, nous avions le droit comme les couples hétéros, de choisir si oui ou non nous voulions nous marier ! Nous nous sommes mariées, pour que je puisse adopter mes enfants, qu’ils soient protégés, pour ne plus vivre dans la crainte qu’ils puissent un jour être séparés de moi, leur maman, s’ils devaient faire face à la perte de leur maman biologique, et puis c’est sympa aussi de d’être les reines d’un jour entourées de nos famille et amis.
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Nous avons effectué une adoption plénière, car une adoption simple… c’est trop simple, elle peut être révoquée. Nous avons démarré la procédure juste après notre mariage en octobre 2014, cela a pris un an pour avoir le délibéré au tribunal de Grasse. Nous avions une avocate qui avait déjà plaidé pour nous pour les délégations, la première en 2011 et la deuxième en 2014, les papiers qui ont été fournis sont ceux que nous avions déjà donnés pour les délégations. Nous avons dû fournir tous les papiers administratifs : acte de naissance, lieu d’habitation, lettre de l’employeur, témoignages des amis et de la famille pour dire comment ils voyaient notre famille et voyaient évoluer les enfants, lettre de la pédiatre, de la nounou… et aussi une lettre de ma femme et de moi racontant notre histoire avant, pendant et après la naissance. Puis nous avons été convoquées au commissariat de police, cela n’a pas été le moment le plus agréable bien que le policier ait été correct. Nous avons été interrogées séparément pour vérifier la véracité de notre témoignage sur notre histoire d’amour, puis ils sont venus à la maison, pour observer notre environnement et celui des enfants…
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Le jour de la délibération les enfants étaient à la maison, avec leur mamie, nous avons expliqué à notre fils, où nous allions et pourquoi. Il a été surpris de cette démarche, il m’a dit que j’étais déjà sa maman, ce qui est vrai, j’étais contente qu’il me dise ça, pour lui, il n’y a pas besoin de sang ou de papier pour être parents. Nous sommes parties toutes les deux, avec nos espoirs… Notre avocate était là, elle nous attendait, elle a fait encore une fois une belle plaidoirie, la juge nous a accordé l’adoption plénière, nous sommes sorties du tribunal heureuses et soulagées, les enfants seront maintenant protégés ! Nous sommes rentrées à la maison, nous avons ouvert une bouteille de champagne, puis nous en avons ouvert une deuxième, une troisième, une quatrième avec la famille et les amis. (…)

Rencontre avec Caroline Mécary

On l’a beaucoup répété depuis sa large victoire aux primaires de la droite : François Fillon est le candidat d’une France ultra-conservatrice, avec une conception restrictive de la famille. La preuve avec cette mesure proposée par le candidat républicain pendant la primaire : la suppression de l’adoption plénière pour les couples de même sexe. Mais quels seraient exactement les risques d’une victoire de Fillon en 2017 ? Réponse avec l’avocate Caroline Mécary, spécialiste de la défense des personnes homosexuelles. Par Mathilde Bouquerel. Extrait.

Lors des débats de la primaire de droite, François Fillon a annoncé son projet de réécrire la loi sur le mariage pour tous en supprimant l’adoption plénière. Pouvez-vous expliquer à nos lectrices de quoi il s’agit concrètement ? Monsieur Fillon propose d’institutionnaliser une discrimination entre les enfants, en fonction de l’orientation sexuelle de leurs parents. Pour les enfants élevés par un couple hetéro : l’adoption plénière, pour ceux élevés par un couple homo : l’adoption simple. Or ces deux adoptions n’ont pas du tout les mêmes effets juridiques. L’adoption plénière est irrévocable, c’est-à-dire qu’on ne peut pas l’annuler. Elle permet de transmettre la nationalité française, ce qui est notamment précieux pour des couples binationaux. Enfin, elle garantit la succession, puisque l’enfant est considéré comme un héritier. Au contraire, l’adoption simple est révocable, il n’y a pas de transmission de la nationalité et l’enfant est considéré comme un tiers par rapport à l’adoptant, de sorte qu’il devra payer 60% de droits de succession à l’administration pour hériter. François Fillon propose en fait une mesure qui va à l’encontre même de ce qu’il prétend défendre : l’intérêt des enfants. A mon avis, son objectif est double : donner des gages à son électorat radical et réactionnaire, et sans doute aller dans le sens de ses convictions personnelles.

Témoignage mères sociales

« Je souhaite que mon témoignage donne de l’espoir à des mamans sociales comme moi » Après 18 mois de tribunal et de procédure administrative, une lectrice de Jeanne Magazine, séparée de son ex-compagne a réussi à obtenir un droit de garde et d’hébergement pour sa fille. Extrait de son témoignage.

J’ai été en couple durant 10 années. Nous étions pacsées et complètement intégrées en tant que couple par nos deux familles. Très vite, mon ancienne campagne m’a fait part de son désir profond de porter un enfant, donc, assez rapidement, nous nous sommes lancées dans le parcours pour concevoir notre enfant. Après les renseignements pris nous nous sommes dirigées vers la Belgique et après de nombreux allers-retours, nous avons effectué une IAD, qui, pour notre plus grand bonheur, a fonctionné du premier coup. (…)

J’ai assisté à toutes les échos et préparations à l’accouchement, j’ai participé au choix de la nounou, et à la préparation de l’arrivée de notre enfant. Notre fille est arrivée, ce fut le plus beau jour de notre vie. Nous avions envoyé un faire-part signé de nos deux noms et les cadeaux et les félicitations ont afflué. Une nouvelle vie à 3 commençait avec de nouveaux repères et de nouvelles habitudes. (…)

Aux 3 ans de notre fille nous nous sommes séparées d’un commun accord sans trahison, ni tromperie. Ensemble nous avons fait la séparation des biens et mis en place le mode de garde. Nous avons pris des appartements avec peu de distance et adapté notre emploi du temps selon nos travails respectifs et le planning de notre fille. J’avais la petite un week-end sur deux, trois soirs par semaines, des vacances avec elle, et mis en place une pension. Mais, petit à petit, mon ex ne voulait plus que la petite m’appelle « maman » et je ne pouvais plus aller la chercher chez la nounou ou à l’école. (…)

J’ai contacté un avocat spécialisé dans les affaires familiales et nous avons tenté une conciliation avant de passer devant le juge aux affaires familiales. Je me suis alors lancée dans un parcours compliqué pour prouver mon implication avant, pendant et après la conception de notre fille. J’ai dû prouver l’existence de notre couple en présentant le certificat de Pacs, les feuilles d’impôts, recueillir les témoignages de notre entourage. Le médecin et le pédiatre ont dû remplir des attestations concernant mon implication, déclaration de naissance, photos, bref il a fallu que je me batte.

Après 18 mois d’attente et de stress, un jugement a eu lieu en ma faveur et j’ai pu renouer contact avec mon enfant. Elle m’a reconnue tout de suite, mais ne savait pas exactement qui j’étais, la nounou, une amie ? J’y suis allée progressivement. (…)
Avec le temps, la situation s’est apaisée grâce au dialogue avec mon ex et notre fille. Parfois, nous allons manger toutes les trois pour montrer à la petite que tout va bien. Elle a bien compris qu’elle a deux maisons, elle a retrouvé son papi et sa mamie, et elle a pris ses repères avec moi et ma nouvelle compagne que j’ai épousée en 2015. (…)

Photo Stéphane Michaux

Photo Stéphane Michaux

Mères sociales, les conseils de l’association Les Enfants d’Arc en Ciel

Céline Cester, secrétaire de l’association Les Enfants d’Arc en Ciel, vit dans le sud de la France avec son épouse et leurs deux enfants. Pour Jeanne Magazine, elle revient sur les démarches administratives et juridiques à effectuer pour les mères sociales et sur leurs recours en cas de séparation.
Extrait.

Toujours dans le cadre d’un couple non marié, en cas de séparation, si la mère sociale n’a effectué aucune démarche au préalable, et qu’elle se voit refuser le droit de voir son enfant par la mère biologique, quels sont ses recours ? Quels sont les coûts, les documents à fournir et la longueur de la procédure ? Dans ce cas, la mère sociale peut effectuer une demande de droit de visite et d’hébergement. Il s’agit d’une procédure assez longue, et pour laquelle l’assistance d’un avocat est obligatoire. Devant certains tribunaux, il est possible d’obtenir des délais raccourcis et que l’audience soit fixée en urgence, mais ce n’est pas du tout systématique. Ces procédures sont assez difficiles et aléatoires. Les résultats dépendent du juge saisi, du degré de conflit entre les deux parents, de l’âge de l’enfant, etc. Elle peut également déposer une demande d’établissement de la filiation par possession d’état. Il s’agit d’une démarche qui a été tentée quelques fois mais plutôt à titre expérimental. A notre connaissance, il n’y a pas encore de procédure complètement aboutie. En effet le code civil reconnaît la notion de possession d’état qui est la réunion de plusieurs faits susceptibles de prouver la réalité vécue d’un lien de filiation et de parenté entre un enfant et la famille à laquelle il est dit appartenir.
Pour prouver l’existence d’une possession d’état, il faut réunir des preuves d’un contexte familial et notamment des faits suivants :
▶ Le parent et l’enfant prétendus se sont comportés comme tels dans la réalité (vie de famille effective).
▶ Le parent prétendu a pourvu matériellement à l’éducation et à l’entretien de l’enfant.
▶ La société, la famille, les administrations reconnaissent l’enfant comme celui du ou des parents prétendus.
▶ L’enfant porte le nom de celui ou de ceux dont on le dit issu.
Pour voir reconnaître la possession d’état, il faut déposer un dossier avec toutes les preuves nécessaires au tribunal d’instance compétent. Le parent est convoqué en audience avec au moins 3 témoins qui doivent témoigner devant le juge. Une fois l’acte de notoriété établi par le juge, il doit être transmis à l’état civil pour sa transcription sur l’acte de naissance de l’enfant.

Retrouvez tous les témoignages et rencontres en intégralité dans le numéro de décembre de Jeanne Magazine : N’oubliez pas qu’en soutenant Jeanne, vous permettez à votre magazine 100% lesbien de continuer à vous proposer 90 pages de contenu exclusif chaque mois !