Eva Green et Gemma Arterton seront à l’affiche de Vita & Virginia, un biopic racontant l’histoire d’amour entre la romancière britannique Virginia Woolf (incarnée à l’écran par Eva Green) et la poétesse Vita Sackville-West (Gemma Arterton, bientôt à l’affiche d’Orpheline avec Adèle Exarchopoulos et Adèle Haenel).

L’amour de ces deux femmes a inspiré à Virginia Woolf son roman Orlando, une biographie imaginaire, publiée en 1928. « Dans le film, Virginia Woolf est amusante et sexuelle, loin des ténèbres que l’on lui associe la plupart du temps. Et Vita Sackville-West est un personnage vivace et flamboyant qui domine la haute société londonienne dans les années 1920 », a expliqué le producteur du film Mike Goodridge à The Independent. La réalisatrice du film, Chanya Button ajoute : « Nous associons trop souvent les femmes du passé avec l’oppression, attachées aux devoirs de la vie maritale, à la propriété et à l’asservissement, mais ce que le film propose c’est un exemple de relation où des femmes brillantes et audacieuses font plier ces institutions selon leur bon vouloir et à leur dépens ».

A lire ou à relire, « La plus longue et la plus charmante lettre d’amour de la littérature »  un article publié dans le numéro d’octobre 2016 de Jeanne Magazine qui aborde la relation passionnée entre Virginia Woolf et Vita Sackville-West. 

C’est l’histoire d’amour qui inspira l’un des plus étranges et modernes romans de la littérature anglaise. A la fin des années 1920, la grande romancière britannique Virginia Woolf va entretenir une relation passionnée avec Vita Sackville-West, poétesse et femme libérée. De cette histoire naîtra Orlando, biographie fictive d’un jeune noble anglais qui se change… en jeune femme. Par Mathilde Bouquerel

« La plus longue et la plus charmante lettre d’amour de la littérature » La formule est de Nigel Nicholson, le fils de la poétesse Vita Sackville-West. Cette lettre d’amour, c’est Orlando, le roman que l’une des plus grandes romancières britanniques, Virginia Woolf, a dédicacé à Vita. Que l’œuvre ait été inspirée par l’histoire d’amour passionnée entre les deux femmes ne fait d’ailleurs aucun doute. Dans son journal, le 5 octobre 1927, Woolf écrit : ​« C’est instantanément qu’une nouvelle stimulation anime mon esprit : une biographie commençant en 1500 et se poursuivant de nos jours, appelée Orlando : Vita, avec pour changement le passage d’un sexe à l’autre ». La relation passionnée entre les deux femmes durera plusieurs années, à partir de 1925, et se transformera peu à peu en amitié. Mais elles continueront de se voir et échangeront de nombreuses lettres jusqu’à la mort de Virginia.

Deux femmes radicalement différentes
Un simple coup d’œil à ces deux femmes de lettres suffit à apprécier toute leur différence. A ma droite : Virginia Woolf. Très mince, presque maigre, un teint de porcelaine typiquement anglais, yeux bleus en amande et cheveux châtains relevés en chignon. Elle est la fille du respectable écrivain et éditeur Leslie Stephen. Dès son plus jeune âge, elle est entourée d’artistes et de penseurs qui fréquentent le salon de ses parents, et elle reçoit une éducation très poussée à une époque où c’était peu le cas des jeunes filles. La mort de sa mère, alors qu’elle a 13 ans, la plonge dans sa première dépression nerveuse. Ce n’est que le début d’une longue série de crises dont la dernière aboutit à son suicide. Aujourd’hui, les spécialistes pensent qu’elle était atteinte de troubles bipolaires et d’anorexie. Fragile psychologiquement, elle mène une vie relativement discrète aux côtés de son mari, le diplomate Léonard Woolf dont elle est profondément amoureuse. A ma gauche : Victoria Mary Sackville-West, dite Vita. Grande, l’allure sportive, cheveux très bruns coupés à la garçonne comme c’est la mode dans les années 20, teint hâlé et grands yeux noirs qui évoquent ses origines gitanes. Elle naît dans une famille noble, fille du troisième baron de Sackville. C’est à l’âge de 20 ans, qu’elle épouse le journaliste Harold Nicholson. Les deux époux vivent un amour libre puisqu’ils ont des relations homosexuelles chacun de son côté, mais cela ne les empêche pas d’être très proches, comme en témoigne leur correspondance. La première amante de Vita, Violet Trefusis, est une amie d’enfance (elle se connaissent depuis les âges de 10 et 12 ans), elle aussi femme de lettres. C’est Violet qui inspire à Virginia Woolf le personnage de la princesse russe Sasha dans Orlando. C’est une fois chacune mariées que la relation des deux jeunes femmes devient physique. Elles partent régulièrement en voyage, souvent en France, et Vita se fait alors passer pour un homme sous le pseudonyme de Julian. Vita raconte cette relation de manière détournée dans le roman Challenge, écrit à quatre mains avec son amante. Mais la mère de Vita Sackville-West ne s’y trompe pas, et craignant le scandale, elle fait pression sur sa fille pour que le livre ne soit pas publié en Angleterre.

Du coup de foudre intellectuel à la passion physique
C’est en 1922 que les deux femmes se rencontrent, lors d’un dîner mondain. Virginia est alors âgée de 40 ans, Vita de 30. Pour éviter à Virginia l’angoisse de soumettre ses livres à un éditeur, les époux Woolf ont alors lancé leur propre maison d’édition : la Hogarth Press, avec les moyens du bord. C’est donc en tant qu’auteure de plusieurs recueils de poésie et romans que Vita Sackville-West les aborde au départ. Si le courant passe tout de suite bien entre Virginia et Vita, le coup de foudre est plus intellectuel que physique. Dans son journal ce jour-là, Virginia qualifie la poétesse de : ​« plutôt rougeaude, noire et gauche ». Les deux femmes vont pourtant devenir très amies et échanger une correspondance régulière, entre réflexion sur l’écriture, admiration mutuelle et même… petits potins mondains. Cet échange, paru en 2010 aux éditions Stock La Cosmopolite, témoigne de leur complicité.

« Si tu me voyais, me donnerais-tu un baiser ? Si j’étais au lit, est-ce que tu me … »
La relation ne deviendra physique que trois ans plus tard. Harold Nicholson est au courant, tout comme Léonard Woolf, mais les deux hommes semblent avoir été très respectueux de la liberté de leurs épouses. Parlant de son mari, Vita explique ​« Naturellement il n’est pas jaloux ». De son côté, Léonard Woolf mentionne bien Vita Sackville-West dans son livre Ma vie avec Virginia, mais il ne fait aucune allusion à la relation qu’elle a entretenue avec sa femme, probablement par discrétion. Pourtant à partir de 1925, le changement est très net dans leur correspondance : surnoms tendres : ​« Oui, très chère créature, viens, viens demain, aussitôt que possible… », voire allusions coquines : ​« Si tu me voyais, me donnerais-tu un baiser ? Si j’étais au lit, est-ce que tu me… ». Dans Ma vie avec Virginia, Léonard Woolf analyse leurs relations et constate que, bien que de dix ans sa cadette, c’est Vita qui protège Virginia, un peu comme une grande sœur. Leur amour dure jusqu’à la fin des années 1920 et s’émousse progressivement, peut-être du fait des crises de jalousie parfois très violentes que le couple traverse. Mais les deux femmes restent en bons termes et continueront de s’écrire pendant dix-huit ans.

Orlando, double littéraire de Vita
Aucun doute, c’est de cette passion que naît Orlando, paru en 1928. Le roman est présenté comme la biographie d’un jeune noble anglais de la fin du XVIè siècle. Le personnage, en plus de changer mystérieusement de sexe, est aussi doté d’une incroyable longévité, qui va lui permettre de traverser trois siècles. Il est d’abord adolescent puis jeune homme sous le règne d’Elisabeth Ier, qui l’emmène à Londres pour devenir son courtisan favori. C’est là qu’il tombe amoureux d’une princesse russe, la belle Sasha. Il devient ensuite ambassadeur en Orient et, après un sommeil d’une semaine, se réveille changé en jeune femme. Orlando décide alors de commencer une nouvelle vie et s’enfuit avec un groupe de gitans. Naissance dans une ancienne famille noble, travestissement, lien avec le peuple gitan… La référence à Vita Sackville-West est claire. De plus quand Orlando devient une femme, la loi lui interdit comme à Vita d’hériter du château et des biens de sa famille. Enfin, le personnage connaîtra la consécration pour son poème Le chên​e, comme Vita pour The Land (la terre) publié en 1926.

Un roman féministe, lesbien et sur le genre
Mais comme toujours chez Virginia Woolf, l’intrigue est surtout un prétexte. Ici, le changement de sexe d’Orlando lui permet de développer une argumentation féministe de façon plus subtile, et sans se départir de son humour très british. Orlando se rend compte, en même temps que le lecteur, que s’il/elle est différent/e selon qu’il/elle est jeune homme ou jeune femme, c’est simplement parce que les gens se comportent différemment. Le caractère un peu magique de ce changement de sexe permet aussi à Woolf un sous-entendu clairement lesbien : ​« Comme Orlando n’avait jamais aimé que des femmes et que la nature humaine se fait toujours tirer l’oreille avant d’adopter des conventions nouvelles, quoique femme à son tour, ce fut une femme qu’elle aima. » Enfin, la nature androgyne de son personnage principal est l’occasion d’une réflexion très moderne sur le genre. Orlando est-il vraiment devenu une femme ? Qu’est-ce que veut dire en fait être une femme ou un homme ? Est-ce que finalement chacun de nous n’est pas un peu des deux ? A la fin des années 20, à une époque où les femmes anglaises viennent tout juste d’obtenir le droit de vote (1918), il était évident pour Virginia Woolf qu’un tel roman allait faire scandale. Dans cette prise de risque, l’influence de Vita, sa liberté et son indépendance, se font clairement sentir. Et c’est peut-être en cela surtout que cette histoire d’amour a inspiré Virginia Woolf.

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